Organisatrice de la grève féministe et secrétaire syndicale chez Unia Vaud, Tamara Knezevic a fait du militantisme sa vie. Arrivée en Suisse à l’âge de 17 ans, la Lausannoise d’adoption s’est construite à travers son engagement politique. Treize ans plus tard, elle se bat pour une treizième rente AVS. En attendant plus.

Son rire la précède. Tamara Knezevic ne semble pas atteinte par le temps morose de cette fin de journée de janvier. Dans les couloirs d’Unia à Lausanne, elle est à la maison. Elle nous guide jusque vers un bureau déserté. Une des fenêtres lorgne sur la place de la Riponne. Sous la pluie, les badauds se pressent. Difficile d’imaginer les dizaines de milliers de personnes qui y ont manifesté sept mois plus tôt pour les droits des femmes.

« La grève féministe, c’est ce qui m’a construite en tant que personne », pose Tamara Knezevic. Ces prochains mois, c’est la votation sur la treizième rentre AVS qui occupera la secrétaire syndicale. Pour la responsable du secteur hôtellerie-restauration d’Unia Vaud, la question est intimement liée aux enjeux féministes. « Il s’agit de métiers féminisés, avec des discriminations lors de la vie salariée, mais aussi pour les rentes. »

Et de rappeler que deux tiers des personnes précaires en Suisse sont des femmes. Pour Tamara Knezevic, pas le droit de se rater. « Après toutes ces grèves, il faudrait tout de même obtenir quelque chose. » Mais si les premiers sondages sont favorables à l’initiative, le combat est encore loin d’être gagné. La syndicaliste s’attend à perdre une vingtaine de points avec la campagne des milieux économiques. Le verdict du 3 mars s’annonce serré.

L’affiche avec le mouton noir

Son permis B lui empêchera toutefois de glisser un bulletin dans l’urne. Après avoir grandi en Croatie, elle arrive en Suisse en 2011, à l’âge de 17 ans, « pour des raisons économiques ». Avec sa sœur et sa mère, elle rejoint son père électricien, qui travaille déjà dans le pays. Celle qui se voyait faire des études de droit se retrouve sur les bancs de l’Ecole-Club Migros pour apprendre le français.

La politique ne fait pas encore partie de sa vie. « Mes parents ne m’ont jamais donné un bouquin à lire, on ne faisait pas de sorties culturelles. » Il y a bien-sûr des discussions sur l’ex-Yougoslavie, que ses parents ont connue, et des avis ci et là sur l’actualité en Croatie, mais aucun avis politique structuré, encore moins militant. Ses parents, soucieux de son intégration, lui apprennent à se taire, à ne pas dépasser, à se faire petite. Un crève-cœur pour cette adolescente de nature joyeuse et sociable.

Une histoire d’acronymes

La première confrontation de Tamara Knezevic à la politique se résume en trois lettres: UDC. «Je me souviens de l’affiche avec le mouton noir. Ça m’avait vraiment choquée. » Après avoir terminé son gymnase, elle entame un cursus en science politique à l’Université de Lausanne (UNIL).

L’UDC est alors le seul acronyme de parti qu’elle connaît. Mais cela change vite. Elle est fascinée par ses cours et par les innombrables conférences proposées. Une conférence d’Amnesty International sur les droits des réfugiés raisonne particulièrement en elle. Quelques semaines plus tard, Tamara Knezevic lance avec deux amies la section UNIL d’Amnesty.

En 2016, Tamara Knezevic se rapproche du parti de gauche radicale solidaritéS. L’étudiante, impressionnée par la complexité des idées qui y sont débattues, laisse passer une année et demie avant d’oser prendre la parole en assemblée. « Certains de mes camarades de parti étaient mes professeurs à l’université. Je ne me sentais pas légitime. »

La grève féministe, qu’elle rejoint dès ses débuts en 2018, change la donne. La jeune militante prend de plus en plus de responsabilités et engrange la confiance qui va avec. « J’ai gagné ma légitimité par le terrain. » Plus encore, Tamara Knezevic retrouve sa jovialité qu’elle s’était efforcée de brider pour s’intégrer en Suisse. « La grève féministe, c’était libérateur. Quand on est ensemble dans la rue, avec la force du collectif, c’est hyper fort. »

« Les petites réformes, je n’y crois pas »

Seule membre de sa famille à avoir fait l’université, elle poursuit son cursus à Genève avec un master en management public. Elle entre alors dans le monde syndical avec un stage chez Unia en février 2020. Tamara Knezevic n’est cette fois plus la jeune étudiante qui angoisse à l’idée de s’exprimer. Elle n’hésite pas à prendre sa place dans un milieu où la lutte syndicale est encore beaucoup considérée comme une affaire d’hommes. « On doit se battre pour que les questions féministes soient traitées comme des questions syndicales. » Tamara Knezevic voit son engagement en tant que secrétaire syndicale en septembre 2020 comme un signe que les choses évoluent dans le bon sens.

D’étudiante, elle devient alors syndicaliste à part entière. Elle a conscientisé son parcours. Elle est issue de la classe ouvrière, et elle va se battre pour elle, dans la plus pure tradition marxiste. La jeune syndicaliste n’hésite pas à remettre en question la stratégie de l’Union syndicale suisse. « Ça me rend triste que les syndicats doivent passer par les instruments institutionnels. Je préfère qu’on gagne par en bas. »

Gagner par en bas. Faire grève. Et si possible, la révolution. « Si on n’y croit pas, à quoi bon ? Les petites réformes, je n’y crois pas, même si je ne suis pas contre les votations. » A ceux qui diraient que cela n’arrivera jamais, Tamara Knezevic répond que la grève féministe est née de quatre femmes, avant de devenir un mouvement qui en a mobilisé des centaines de milliers.

Antoine Schaub

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