Battu lors des dernières élections fédérales, le conseiller national popiste Denis De La Reussille fera ses adieux à la coupole fédérale à la fin novembre. L’élu des montagnes neuchâteloises nous a reçu en son fief du Locle pour évoquer sa militance, ses années bernoises, mais aussi et surtout cette ville. Sa ville.
Texte et photos: François Tardin
Portrait » Onze immenses mains sur fond noir, dégradées dans des couleurs chatoyantes, qui s’étalent sur 140 m2. Articulées comme des corps humains en mouvement par le street artist allemand MacLaim, elles symbolisent les hommes qui ont marché, le 1er mars 1848, sur le château de Neuchâtel pour y instaurer la République.
«Révolution», c’est le nom de cette œuvre impressionnante que pointe, le nez en l’air, Denis De La Reussille sur la façade de l’Hôtel de la Fleur de Lis. Comme un symbole pour cet élu qui a dédié sa vie au militantisme de gauche au sein du Parti Ouvrier Populaire (POP). D’extrême gauche? «Je ne me considère pas comme extrême», précise le Loclois de 63 ans. Celui qui se définit néanmoins comme marxiste préfère que l’on parle de «gauche combattante.»
Combattant, il l’aura été, vingt-six années durant, à l’exécutif du Locle, pour améliorer la qualité de vie dans cette «belle ville» (il y tient!). Extrême, en revanche, n’est effectivement pas le qualificatif qui convient le mieux à cet homme posé et à la voix douce, dont on peut compter les coups de sang sur les doigts d’une main. Nombre d’adversaires politiques, de chefs d’entreprises et même de banquiers qui ont croisé la route de ce «rouge» le reconnaissent publiquement.
«En tant que député de gauche d’un petit canton, j’ai fait une cure de minorité intensive»
Jusqu’à ce 22 octobre 2023 où il a fini par être battu par l’UDC Didier Calame, il aura en effet créé un large consensus au-delà de «sa» ville et de «ses» montagnes neuchâteloises. Cela lui aura valu d’être élu, en 2015, au Conseil national par un canton tout entier. Malgré les clivages qui minent une région tiraillée entre son haut et son bas, et un parti dont le nom a de quoi effrayer le bourgeois de Neuchâtel. Ce sera le couronnement d’une carrière politique jalonnée de succès – on a un temps parlé d’«effet Denis» -, qui a débuté au Conseil communal du Locle en 1996, et qui compte également huit années de présence au Grand conseil neuchâtelois.
Pourtant à Berne, ce «DDR» si visible dans son canton aura peiné à se distinguer. Membre d’une seule commission, celle de politique extérieure, il n’aura par ailleurs vu aucun des 47 objets parlementaires qu’il a déposés au cours de la dernière législature passer la rampe du parlement, révélaient récemment nos confrères d’ArcInfo. «En tant que député de gauche d’un petit canton, j’ai fait une cure de minorité intensive», dit-il. A l’en croire, «rien ne passe» dans un parlement où les lobbies feraient «la pluie et le beau temps».
Une ville devenue attractive
«J’ai toujours été davantage un homme d’exécutif», reconnaît-il. Les faits parlent pour lui. Au Locle, dont il a été maire, au cumul, pendant dix-huit ans, et dont il a quitté le Conseil communal fin avril, il a laissé des finances relativement saines, un réseau de transports publics développé, une riche vie culturelle… «Nous avons deux salles de spectacle et trois musées, ce n’est quand même pas mal pour une ville de 10’000 habitants!», indique celui qui n’oublie pas de mentionner la patinoire-piscine et «trois excellents bistrots». «Parce que manger, c’est quand même sympa», dit en riant cet ancien footballeur à la carrure volontaire, qu’il entretient sur ce vélo électrique dont il s’est épris il y a un an.
«J’ai toujours été davantage un homme d’exécutif»
Et pourtant, ce n’était pas gagné d’avance. Lorsque, au début des années 2000, Denis de La Reussille et le POP ont pris le pouvoir au Conseil communal du Locle, d’aucuns voyaient la ville mise rapidement sous tutelle. Les années suivantes leur donneront tort. En tant que maire, Denis De La Reussille mènera une politique pragmatique. Les finances seront redressées en quelques années grâce à une politique d’investissement prudente et une fiscalité réaliste. Aussi parce que, gardant à l’esprit le caractère industriel de sa ville, il collaborera en bonne intelligence avec les chefs d’entreprise.
«J’ai toujours préféré les solutions à la confrontation», confirme-t-il. Pragmatisme toujours pour lui qui, sans avoir jamais eu de voiture, a soutenu le projet de route de contournement de la ville du Locle pour améliorer la qualité de vie de ses administrés. Dès lors, cette ville qui trustait naguère les dernières places dans les classements en la matière, fait désormais figure de bonne élève. Dernièrement, une statistique mise en lumière par 20 Minutes dévoilait que, pour un célibataire avec un revenu brut de 50’000 francs, Le Locle était la quinzième commune la plus attractive de Suisse. Loin du cliché de ville invivable.
«Un immense honneur»
Le grand soir de l’UDC, le 22 octobre, aura été le crépuscule de sa carrière politique. «J’ai fait mon temps, je ne veux plus d’autres mandats», affirme-t-il sans détour. De la rancune de devoir laisser son siège au Palais fédéral? Bien au contraire: «Cela a été un immense honneur pour moi de représenter le canton de Neuchâtel». Et de conclure : «Si l’on m’avait dit quand j’ai commencé à militer que je siégerais un jour au Grand conseil, je n’y aurais pas cru. Et que je finirais au Conseil national, j’aurais éclaté de rire!»
