La guerre en Ukraine et l’importante arrivée de migrants a mis sous pression les structures d’accueil, notamment dans le canton du Jura. Mais selon le directeur de l’Association jurassienne d’accueil des migrants Pierluigi Fedele, il existe encore une marge de manœuvre.

La barque n’est pas pleine. Plus de dix mois après l’arrivée des premiers Ukrainiens sur le territoire suisse, le directeur de l’Association jurassienne d’accueil des migrants (AJAM) Pierluigi Fedele évoque les défis qui ont accompagné l’institution durant cette année particulière. L’association a dû grandir, elle a aussi absorbé d’autres vagues de migrations. Le soutien des familles d’accueil a été profitable.

Après bientôt une année de guerre en Ukraine, et avec d’autres conflits dans le monde, les structures de l’AJAM ont été mises sous pression, n’est-ce pas ?Clairement, on a eu une année très particulière. De manière générale, le bilan est plutôt positif pour l’AJAM. On arrive à garantir un toit dans des centres collectifs, la situation est gérable. Les premiers mois ont été assez chaotiques et la situation évolue encore cette année : le 1er janvier dernier, on comptait 1170 bénéficiaires ukrainiens. Aujourd’hui, on en est à 1620, donc plus de 400 personnes sont arrivées cette année.

L’AJAM était encore relativement petite il y a un ou deux ans. Comment a-t-elle fait pour tenir le coup ? On a déjà connu des crises migratoires, mais pas de cette ampleur. Sur toute l’année 2015, marquée par la migration syrienne, l’AJAM avait accueilli 450 personnes. Donc les proportions qu’on a depuis l’année passée, c’est une première. On a mis en place une structure particulière pour l’Ukraine, une AJAM bis, quelque part. Sinon, notre structure aurait volé en éclats.

Deux structures, ça fait beaucoup plus de travail pour les collaborateurs de l’AJAM, non ? Oui, il y a eu une explosion des heures supplémentaires. On est à un peu plus de 85 EPT (équivalents plein-temps) aujourd’hui, on sera 100 ou 120 EPT à la fin de l’année. On est devenus très grands en peu de temps. On avait su développer dans l’institution une belle ambiance. Il faut essayer de conserver le plaisir de venir au travail, même si on devient une grande structure.

« Certains bénévoles nous ont dit que pour les autres migrants, il n’y avait pas d’intérêt de leur part. Ça fait ressortir ce que j’appelle le racisme structurel. »

Quelles ont été les principales difficultés auxquelles l’AJAM a dû faire face durant les douze derniers mois ? Au tout début de la crise, heureusement, il y a eu cet élan de solidarité des familles d’accueil, ce qui nous a permis de trouver des lieux d’hébergement. La relation avec ces familles d’accueil, qui ne sont pas habituées à l’asile, n’a pas toujours été facile. À titre personnel, un élément qui m’a particulièrement affecté est la différence fondamentale qu’on a faite avec d’autres réfugiés.

C’est-à-dire ? L’Ukraine, c’est une migration blanche, chrétienne, qu’on connaît. Clairement, certains bénévoles nous ont dit que pour les autres migrants, il n’y avait pas d’intérêt de leur part. Ça fait ressortir ce que j’appelle le racisme structurel : Ukrainien, chrétien et blanc, ça passe ; Afghan et plus coloré, ça passe un peu moins. C’est très schématique, ce que je dis là, mais on a entendu ce genre de choses.

La générosité des familles d’accueil est tout de même à saluer, non ? Oui, et une partie de ces personnes sont prêtes à faire le refaire pour d’autres population. Si on n’avait pas eu cette soupape-là, je ne sais pas comme on aurait fait. Mais ce ne sont pas que des belles histoires : on accueille des gens qu’on ne connaît pas. Il y a une espèce d’élan de sauveur qui fait qu’on attend quelque chose en retour de la personne qu’on a sauvée, et parfois ça ne vient pas.

« Assez rapidement, on a vu que les schémas mis en place fonctionnaient bien. »

Personne ne s’attendait vraiment à ce qu’une guerre éclate aussi vite en Europe. L’AJAM était-elle prête ou a-t-elle été prise de cours ? Prêts, on l’était. Nos temps de réaction ont été bons. Et ces fluctuations en nombre d’arrivées, c’est le fond de notre métier : entre 2018 et 2022, on a vécu quatre années assez calmes. Et tout-à-coup, cette grosse vague de migration ukrainienne est arrivée. Assez rapidement, on a vu que les schémas mis en place ces dernières années fonctionnaient bien. On a accéléré et modifié les processus. D’habitude, une personne qui arrive passe huit à douze mois dans un centre collectif. Là, on est passé par des familles d’accueil et on a rapidement envoyé du monde en appartements.

Fin novembre, un article du Courrier critiquait la gestion du centre à Bure. L’AJAM a-t-elle un levier d’action là-dessus ? C’est le Syndicat d’Etat aux migrations qui gère ça. Bure, c’est une extension parce qu’ils manquaient de place dans les centres traditionnels. Honnêtement, je n’ai pas été très étonné de ce que j’ai lu. Il faut imaginer des énormes centres installés à toute vitesse, ça créé forcément des soucis. Mais le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM), ça n’a rien à voir avec nous. Les personnes qui sont à Bure font partie du quota national. On n’a pas vraiment de contacts avec eux.

La guerre en Ukraine a débuté il y a bientôt onze mois, les migrants ukrainiens affluent depuis dix mois. Quels sont les défis actuels et futurs de l’AJAM ? Le principal défi est d’améliorer le suivi social des personnes. Une autre question est : est-ce qu’on va obtenir les ressources qu’on souhaite de la part de l’Etat ? Et il y a cet agrandissement de notre institution dont j’ai déjà parlé : il y a deux ans, on était une petite institution. Là on devient, un bastringue multisite. On doit éviter de devenir une grosse machine bureaucratique.

Les capacités d’accueil jurassiennes sont-elles menacées de saturation ? Pour le versant ukrainien, on n’a pas de souci à se faire. Les Ukrainiens passent une ou deux semaines au maximum dans un centre puis vont dans des appartements. On est plus en souci pour les migrants d’autres nationalités, qui restent plus longtemps en centre avec des éducateurs. Notre visibilité est d’à peu près trois mois. Ça reste tendu, mais on n’est pas en crise complète et on a encore une marge de manœuvre. Ces dernières années, beaucoup sont sortis du système AJAM pour devenir des citoyens jurassiens. Ça nous donne de l’air et libère des places dans les centres et les appartements.

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