Economie laitière – Jacques Nicolet (UDC/VD) retrace les ravages qu’a entraînés la sortie du contingentement laitier dans les campagnes. L’Interprofession du lait, chargée de réguler le marché et de garantir un maintien des prix, peine à assurer sa mission. Les producteurs n’y sont pas suffisamment défendus.

Pour Jacques Nicolet, il est grand temps que les paysans retrouvent mainmise sur le marché laitier.

Monsieur Nicolet, avant d’être conseiller national, vous avez été actif dans la défense professionnelle laitière. Que s’est-il passé sur le marché laitier ces dernières décennies?
A son apogée, avant la fin du contingentement, le prix du lait atteignait un peu plus d’un franc. Il y a trois milliards de kilos de lait produits en Suisse chaque année. Un milliard environ est transformé en fromage, le solde de deux milliards se destine quant à lui à l’industrie. Ces dernières années, ce même lait destiné à l’industrie a été payé entre 50 et 60 ct. Grosso modo, c’est donc un milliard de francs qui se trouve très probablement aujourd’hui dans la poche de la grande distribution. Car dans les rayons, les prix des produits laitiers n’ont pas baissé.

Est-ce que les producteurs peuvent réellement espérer récupérer ce milliard ?
Il faut impérativement retrouver des prix qui couvrent les coûts de production. Cela ne veut pas dire des prix plus chers à la consommation, mais reprendre le dialogue avec le dernier maillon de la chaîne de valeur pour recréer un équilibre sur la valeur ajoutée.

Est-ce réaliste que d’espérer ceci de la grande distribution ?
S’il y a bien une chose que l’on a dénigré jusqu’à maintenant, c’est l’impact des consommateurs. Je préside l’Association suisse pour un secteur agroalimentaire fort (ASSAF). Nous souhaitons rencontrer la Fédération romande des consommateurs (FRC), dans l’objectif de mener de front certains dialogues, voire certaines négociations, avec les distributeurs. Je pars du principe que la valeur ajoutée est là. Il n’y a pas de raison qu’elle soit accaparée par un secteur principalement.

« Je pars du principe que la valeur ajoutée est là. Il n’y a pas de raison qu’elle soit accaparée par un secteur principalement. »

Comment se fait-il que cette valeur ajoutée ait échappé au monde paysan ?
D’une part, je reconnais que le monde paysan a été naïf un temps, en se disant que cette valeur ajoutée serait compensée par des paiements directs. La valeur et la qualité de notre production devenaient presque accessoires. D’autre part, à la sortie du contingentement laitier, la distribution ne voulait pas d’organisation paysanne forte. En somme, diviser pour mieux régner. On constate aujourd’hui que l’on n’a jamais réussi à fédérer les producteurs.

Qu’en est-il de la fédération des Producteurs suisses de lait (PSL) ?
Aujourd’hui, PSL n’a plus l’impact et la force de frappe d’auparavant. Au-dessus, il y a l’Interprofession du lait (IP Lait) qui dirige les manœuvres. Pendant l’ère du contingentement, PSL se trouvait dans un système qui ne ronronnait pas trop mal. Elle n’était pas formatée pour faire de la défense professionnelle. Il serait nécessaire de retrouver une organisation forte pour fédérer et défendre les producteurs.

Les producteurs sont pourtant représentés à l’IP Lait…
Certains ne mettent pas la bonne casquette. Il manque de producteurs qui défendent réellement l’intérêt des leurs. Les paysans doivent apprendre à mieux négocier ce qu’ils vendent. Au supermarché, le caissier ne demande pas au client combien ce dernier veut bien lui donner pour ses achats…

Le moment semble opportun, puisqu’actuellement, des acheteurs peinent à trouver de la matière première. Va-t-on manquer de lait en Suisse ?
Effectivement, je pense qu’on va en direction d’une pénurie. Vous savez, l’industrie laitière fonctionne comme tout un chacun. Tant qu’il y a du jus qui sort d’un citron, on continue de presser. Ce manque de lait a été créé de toutes pièces, si l’on veut bien, en pressant le citron de l’agriculture. Ceci pour prétendre ouvrir une fois les vannes de la ligne blanche et libéraliser ainsi le marché laitier suisse.

La menace d’une libéralisation est donc réelle?
Oui, il y a probablement déjà des velléités en la matière. Prenons du lait européen que l’on déshydrate de 20%. Ce n’est plus du lait, mais un produit transformé pour lequel les règles d’importations manquent de transparence. Je suis d’ailleurs en discussion avec l’Administration fédérale des douanes à ce propos.

Dans les campagnes, la question d’une relève suffisante en production laitière se fait pressante. Partagez-vous ces inquiétudes?
Je remarque que même au sein de la filière du Gruyère AOP, qui offre pourtant un prix du lait correct, il y a un certain nombre de jeunes agriculteurs qui ne se sentent plus l’âme de traire des vaches. En cause, la méfiance permanente dont le monde paysan a souffert ces derniers mois avec le scrutin de juin, mais aussi une administration toujours plus pointue et pinailleuse. S’ajoute le manque de perspectives économiques dans la politique agricole.

La traite robotisée est-elle la solution pour assurer la pérennité de la profession ?
Je ne suis pas forcément un partisan du robot de traite, mais je me rends compte qu’aujourd’hui, les nouvelles technologies peuvent apporter un certain confort dans la conduite d’une exploitation. Ce n’est pas parce qu’on est paysan qu’on n’a pas le droit à l’évolution technologique. Encore faut-il des prix rémunérateurs qui permettent de financer ces nouveaux équipements.

Propos recueillis le 2 novembre 2021

LAISSER UN COMMENTAIRE

Veuillez entrer votre commentaire!
Veuillez entrer votre nom ici


Notice: La fonction amp_has_paired_endpoint a été appelée de façon incorrecte. Function called while AMP is disabled via `amp_is_enabled` filter. The service ID "paired_routing" is not recognized and cannot be retrieved. Veuillez lire Débogage dans WordPress (en) pour plus d’informations. (Ce message a été ajouté à la version 2.1.1.) in /home/cfjmlemazl/www/wp-includes/functions.php on line 6078

Notice: La fonction amp_has_paired_endpoint a été appelée de façon incorrecte. Function called while AMP is disabled via `amp_is_enabled` filter. The service ID "paired_routing" is not recognized and cannot be retrieved. Veuillez lire Débogage dans WordPress (en) pour plus d’informations. (Ce message a été ajouté à la version 2.1.1.) in /home/cfjmlemazl/www/wp-includes/functions.php on line 6078

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.