INTERVIEW En rupture avec l’UDC, la vice-présidente du parti s’oppose aux deux initiatives voulant réduire le nombre d’interruptions de grossesse en Suisse déposées par deux de ses collègues en décembre.
Elle avait déjà fait parler d’elle en 2013 lorsqu’elle s’est opposée à l’initiative «Financer l’avortement, une affaire privée», pourtant soutenue par son parti. Neuf ans plus tard, la conseillère nationale genevoise UDC Céline Amaudruz récidive et rejette les textes de deux consœurs alémaniques, Andrea Geissbühler (BE) et Yvette Estermann (LU).
«La nuit porte conseil» veut introduire un délai de réflexion obligatoire de 24h entre le rendez-vous en gynécologie et un avortement. «Sauver les bébés viables», empêcher les interruptions de grossesse dès que «l’enfant peut respirer en dehors de l’utérus, moyennant éventuellement des mesures de soins intensifs». Dans l’état actuel de la science, cela correspond à 22 semaines de gestation.
En tant que conseillère nationale UDC, on pourrait s’attendre à ce que vous souteniez les initiatives de vos collègues. Pourtant, ce n’est pas le cas?
Non. Clairement non. Je peux comprendre leur motivation, à savoir le droit à la vie, mais c’est impossible pour moi de soutenir une de ces initiatives. Ne serait-ce qu’une ébauche d’interdire le droit à l’avortement n’aura pas mon soutien.
Commençons par le premier texte, «La nuit porte conseil». Pourquoi y êtes-vous opposée?
Je ne pense pas qu’on puisse prendre la décision d’avorter sur un coup de tête. Aucune femme n’est insensible au fait de porter et de donner la vie. Si elle prend cette décision, c’est un choix intime qui m’apparaît comme mûrement réfléchi. Ce n’est pas une nuit qui lui a porté conseil, mais plusieurs.
Donc les dispositions actuelles vous semblent suffisantes?
Oui. Totalement. Je n’ai pas eu la malchance de devoir prendre une telle décision, mais j’ai des amies qui ont dû le faire. Fort heureusement, on avorte en Suisse dans un cadre réglementé et on est obligées de passer par la case médecin, lequel connait ses responsabilités et son devoir d’informer la patiente des enjeux. Le processus de réflexion est là.
«Ce qui est important, c’est le bien de l’enfant, le bien de la maman. Ce sont des choses qui vont de pair.»
Et concernant « Sauver les bébés viables », qui veut interdire totalement les avortements dès que le fœtus pourrait survivre s’il naissait très prématurément? Ce texte inclut même les interruptions de grossesse thérapeutiques, pratiquées quand des malformations importantes sont détectées passé le délai classique de 12 semaines.
Une femme qui avorte après 22 semaines, ce n’est pas le même avortement que ceux dont parle la première initiative. Le médecin prend une autre responsabilité. Ce sont des cas exceptionnels, totalement justifiés médicalement. Enlever cela, c’est vraiment grave! Et je n’aimerais pas que cela soit mal compris: chaque personne a le droit de naître, avec handicap ou pas! Mais si une mère décide de ne plus avoir d’enfant et qu’on la force à aller au bout de la grossesse, quelles seront les conséquences? Cet enfant, pensez-vous vraiment qu’il puisse s’épanouir?
Si ce n’est pas le cas, qu’est-ce que cela pourrait entraîner selon vous?
Je pense que la femme serait capable d’avorter seule, avec des moyens qu’on connaissait à l’époque. Un marché noir pourrait se mettre en place, et ça, c’est très dangereux. Mais, ce qui est important, c’est le bien de l’enfant, le bien de la maman. Ce sont des choses qui vont de pair. C’est un joli jeu de mot avec le père (rires). On va tout faire pour que les femmes fassent des enfants en Suisse, c’est un point sur lequel on est tous d’accord. On a un taux de natalité très bas, qu’on doit vraiment encadrer. A nouveau, je m’écarte de l’UDC, car pour cela, je veux qu’on crée plus de crèches, de structures, qu’on réfléchisse à ce qui se fait dans les pays nordiques.
Comment faites-vous pour vous positionner au sein du parti, quand il y a, comme ici, des dissensions si profondes?
Sur des thématiques comme l’avortement, elles sont totalement acceptées. Il y a une liberté sur ces thèmes sociaux, qui sont très personnels. Je crois que ce qui encourage mes collègues à déposer ces textes, c’est leur engagement religieux. Je n’ai pas pour coutume de les juger et j’espère qu’elles ne le font pas non plus. J’accepte et je respecte totalement leur position parce que des croyants engagés, c’est important. Heureusement qu’on en a, parce que ce sont nos valeurs chrétiennes qui sont en jeu. Mais chacun doit pouvoir s’exprimer et on doit respecter les deux positions.
«On doit avoir une vraie politique familiale afin de pallier le manque de naissances.»
Ça ne vous interroge jamais de faire partie de l’UDC dans ces moments-là? Il y a suffisamment de points de ralliement pour que vous restiez fidèle au parti?
Oui! Quand je me suis engagée en politique, les valeurs essentielles que j’avais envie de défendre étaient évidemment l’indépendance, notre autonomie, et la sécurité, qui forment l’ADN de l’UDC. C’est toujours le cas, et la sécurité des femmes est une de mes priorités, qu’elle soit physique ou sociale. Je suis parfois un peu en désaccord avec mon parti mais je me bats pour qu’on assure l’égalité et les droits de la femme, dont fait notamment partie l’avortement.
Quelles sont vos priorités pour atteindre l’égalité?
Comme je prône et revendique l’indépendance de la femme, c’est l’égalité salariale, évidemment. Les disparités à compétences égales sont injustifiables. La sécurité de la femme, d’un point de vue corporel: le bracelet électronique, avec surveillance active pour les hommes violents. La prison, s’il y a un crime. Et un renvoi automatique, si c’est un criminel étranger. On doit aussi avoir une vraie politique familiale afin de pallier le manque de naissances. En Suisse, il n’existe pas encore de politique de natalité. Dans ce cadre se posera un jour, indéniablement, la question du don d’ovocytes, que je soutiendrai.
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