Philippe Bauer: « Aujourd’hui, le débat politique est dans une culture du slogan »

0
335
Philippe Bauer
Philippe Bauer au Château de Neuchâtel pendant les élections au Conseil national et au Conseil des Etats le 20 octobre 2019. Photo: Lucas Vuitel SNP

Les campagnes de votation semblent devenir de plus en plus radicales en Suisse, avec des affiches qui mêlent messages provocants et images chocs. Cette communication politique met-elle en danger l’art du débat au profit d’une confrontation stérile entre deux camps? Analyse de Philippe Bauer.

Député neuchâtelois au Conseil des Etats, le PLR Philippe Bauer est connu pour son franc-parler. Sa personnalité fait de lui un invité de débat idéal pour les médias. Avec ses vingt ans d’expérience politique, dont sept au niveau national, il nous livre sa vision sur l’évolution de la communication des campagnes politiques.

Le 13 février prochain, l’un des objets soumis à la votation est le train de mesures en faveur des médias. Sur les murs, les opposants interpellent de ce message: «Non aux milliards du contribuable pour les millionnaires zurichois des médias». Que pensez-vous de ce slogan?

J’aime de moins en moins ce qui est réducteur. Or, cette affiche est complètement réductrice et ne signifie rien. Après, il faut être réaliste: si l’affiche dit «Non à des entreprises qui, aujourd’hui, font déjà des bénéfices et qui versent des dividendes à des actionnaires», personne n’aurait rien compris. Notons aussi que de l’autre côté, les affiches dépeignent ce brave Guillaume Tell, qui casse les fake news. Vous me direz comment ces millions pourraient avoir de l’influence sur ce qu’il se dit sur Fox News et compagnie…

L’affiche des opposants au train de mesures en faveur des médias. Photo: Keystone

Un argument de plus en plus utilisé dans les campagnes est le «Et après quoi?». On peut le voir sur les affiches des opposants à l’interdiction de la publicité sur le tabac. N’est-ce pas une argumentation qui stérilise complètement le débat?

Il y a une tendance à baser sa campagne contre les arguments de l’autre plutôt que de vendre son projet. C’est dommage. Alors oui, il y a un durcissement du débat, mais je dirai surtout qu’il y a de moins en moins de débat. Les stands en ville, il y a en a presque plus. C’est une culture qui s’est un peu perdue.

L’argument du type « et après quoi » fleurit sur les affiches. Ici, les opposants à l’initiative « Enfants sans tabac ». Image: interdiction-publicite-non.ch

A s’attaquer plutôt que de se vendre, est-ce que la culture du consensus est en danger?

Cela dépend où l’on place le débat et le consensus. Pour moi, ils se retrouvent en amont, lorsque nous essayons de trouver des solutions dans les parlements. La culture du consensus est aussi préservée grâce à la démocratie directe, par le système des majorités.
Il faut comprendre que, lorsqu’on débat en période de votations, il ne s’agit pas de convaincre celui qui est en face de soi, mais de convaincre les votants. A partir de là, peut-être qu’il y a un certain appauvrissement intellectuel, aujourd’hui, on est dans une culture du slogan.

«Il faut attraper l’attention des gens alors que nous savons qu’ils lisent rarement un contenu au-delà de 5 lignes.»

C’est aussi quelque chose qui vient du jeu médiatique. Je me souviens d’une fois où j’avais répondu à une question d’un journaliste. Il m’a rappelé pour me dire que je n’étais pas assez virulent. Il y a cette idée qu’il faut forcément s’engueuler, sinon c’est ennuyeux.

Mais est-ce que ce jeu de l’exagération ne risque pas de décrédibiliser complètement les campagnes et la communication politique?

Le problème est que tout devient très compliqué. Une prochaine campagne qui va être folle est celle de la réforme de l’AVS. C’est un dossier énorme qui va être réduit à des slogans du type «touche pas à mes rentes». Un aspect coince et c’est tout l’objet qui est remis en question.

Tout devient de plus en plus immédiat aussi. Il faut répondre tout de suite, écrire tout de suite… Il faut attraper l’attention des gens alors que nous savons qu’ils lisent rarement un contenu au-delà de 5 lignes. On a le sentiment que la réflexion devient subsidiaire. Ce qui est dangereux, ce sont les personnes qui pourraient se contenter de se faire un avis seulement sur une affiche. L’une des clés fondamentales pour se comprendre est d’au moins écouter le raisonnement de l’autre. Après, on peut considérer qu’il a tort.

Une évolution intéressante à noter, c’est que dans les années 30 notamment, les affiches étaient beaucoup plus virulentes, tous partis confondus. Aujourd’hui, c’est socialement beaucoup plus délicat, on baigne un peu dans le politiquement correct.

Affiche du Parti communiste contre la prolongation de l’école de recrues, 1935. Archive du Museum für Gestaltung Zürich, tous droit réservés.

La multiplication des informations et des canaux de communication, grâce à internet et les réseaux sociaux, constitue-t-elle paradoxalement un obstacle au débat?

Les réseaux sociaux n’ont pas apporté que du négatif, mais oui je pense. Peut-être que je suis vieux jeu, mais sur les réseaux sociaux, il est difficile d’avoir autres choses que des vérités assénées. Moi, je préfère aller voir les gens plutôt que d’écrire quatre phrases assassines.

«Les jeunes s’engagent de moins en moins pour une vision politique, mais toujours plus pour une cause» Cette affirmation vient de Barry Lopez, l‘animateur d’Easy Vote. Pour vous, est-ce une raison qui explique le durcissement des fronts face à certains sujets de votations?

Je pense que oui, comme on s’intéresse à des causes, on a de moins en moins une vision générale de la société. Cela me rappelle le parti des automobilistes dans les années 90 en Argovie. Le monde tournait autour de l’auto. C’est un problème d’être trop monomaniaque. Un parti devrait avoir une vision de la société qui amène un certain nombre de choix.

«Une initiative est un outil de combat, donc il faut être excessif.»

De nos jours, sous prétexte qu’on défend sa liberté, on en arrive à piétiner celle des autres.
Cela peut aussi expliquer l’explosion du nombre d’initiatives en Suisse depuis quelques années. Une initiative est un outil de combat, donc il faut être excessif. C’est ce qui permet d’intéresser des gens. Dans les six prochains mois, il y en aura plein, car c’est l’outil de promotion de précampagne pour les prochaines élections fédérales.

On peut aussi voir une influence des réseaux sociaux là-dessus. Ils ont amené quelque chose qui peut être positif et négatif à la fois, à savoir une certaine horizontalité de la société. Avant, une initiative partait d’un parti fédéral et était ensuite discutée dans les sections cantonales. C’était peut-être plus ennuyeux et hiérarchisé, mais cela signifiait aussi qu’il y avait peu de chance qu’une bande d’excités monomaniaques réussisse à obtenir assez de signatures pour aboutir à une initiative fédérale.

A lire aussi: Votations fédérales: les recommandations des partis neuchâtelois

LAISSER UN COMMENTAIRE

Veuillez entrer votre commentaire!
Veuillez entrer votre nom ici

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.