Andreas Gross: «La désobéissance civile fait partie de la démocratie»

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Andreas Gross dans sa bâtisse du XVIe siècle nichée dans la verdure de Saint-Ursanne, « un cadre idéal pour étudier et penser » (image: Josué Merçay/CFJM).

Climat. Fondateur de l’Atelier pour la démocratie directe, ancien conseiller national socialiste, le Jurassien d’adoption Andreas Gross estime que la démocratie peut faire face aux enjeux de l’urgence climatique.

La situation d’urgence climatique nous oblige à prendre des décisions rapides et radicales. Est-ce que c’est compatible avec la démocratie ?

Il n’y a pas d’obstacle structurel. La démocratie, c’est décider ensemble de l’avenir de la société, et pas seulement de l’intérêt personnel à court terme. S’il y a une conscience qu’il faut agir vite, c’est possible. Il y a quinze ans, on a pensé qu’il était urgent de changer la loi pour se débarrasser plus vite des demandeurs d’asile. L’initiative a été traitée en une année et son entrée en vigueur s’est faite tout de suite, après une décision du Parlement. Autre exemple : après la fin de la guerre, on ne pouvait pas boire l’eau des fleuves et des lacs en Suisse parce qu’ils étaient pollués. Les citoyens ont décidé d’investir des milliards et en 50 ans on a fait d’énormes progrès. Ça montre que quand on veut, on peut. Il y a déjà des réactions dans ce sens, le Parti libéral-radical a changé son point de vue et les Verts ont gagné des sièges.

Mais qu’est-ce qui est fait concrètement aujourd’hui ?

Une loi sur le CO2 est en train de se faire et le Conseil des Etats veut aller plus loin face à la pression des jeunes. Une décision devrait être prise en décembre. Ça montre que le système réagit. Il y a aussi un autre projet de loi pour taxer les vols en avion. Les nouveaux parlementaires feront des propositions là-dessus avec des discussions possibles au printemps. Et s’il y a des référendums contre ces lois, ce sera l’occasion de manifester, de dire qu’il y a une urgence et de montrer que les référendaires sont dans l’erreur.

Est-ce que des taxes seront suffisantes ?

Il faut être créatif, inventer des lois plus originales et plus concrètes. Par exemple, on ne peut pas taxer l’essence dans les régions périphériques de la même manière qu’en ville. Il faut aussi penser à ceux qui n’ont pas les moyens suffisants pour isoler leur maison ou changer leur chauffage. On a aujourd’hui une enveloppe de 100 millions de francs par année, ce n’est pas suffisant. L’argent ne coûte pas cher aujourd’hui, surtout pour un pays comme la Suisse. Il faut taxer les comportements contraires à la durabilité tout en encourageant le changement. On pourrait aussi faire en sorte que ce soit plus rentable de réparer, par exemple en supprimant la TVA pour les réparations et en taxant davantage les véhicules neufs.

Donc, il faut aussi changer nos modes de consommation ?

L’énergie qui n’est pas utilisée est la meilleure épargne. Il faut gaspiller moins, s’émanciper de la voiture là où c’est possible. Ça veut dire utiliser des petits bus, les transports publics, le vélo. On peut faire beaucoup mieux. L’idée d’un capitalisme basé sur la surconsommation et l’obsolescence programmée doit être abandonnée.

Le capitalisme n’est-il justement pas un frein ?

Respecter le climat peut être en confrontation avec le capitalisme. Mais je pense que même dans ce cadre, on peut trouver les moyens de sortir de la crise. Je ne suis pas contre la croissance, mais qu’est-ce qui doit croître ? Il faut se poser la question de savoir si ce qui croît sert à quelque chose ou si ça remet en question la possibilité de la vie. Le problème avec le capitalisme, c’est que la concurrence devient un modèle. Le système pousse à la compétition, c’est la raison pour laquelle les gens ne sentent plus qu’ils font partie d’un ensemble. Et si l’autre devient un ennemi, on est perdus !

« L’enjeu, c’est une bataille de l’information, de l’éducation et une question d’équilibre social »

Même si on prend des décisions en Suisse, le problème est mondial. Comment dépasser cette difficulté ?

L’économie suisse a une énorme influence dans le monde. Beaucoup de grandes entreprises ont leur siège social en Suisse. On peut les contraindre à suivre, à contribuer à cette grande transformation qui vise à s’émanciper de l’énergie fossile. Du point de vue philosophique, si nous montrons au monde ce que nous pouvons vraiment, le problème peut être résolu. C’est une éthique qui a valeur d’exemple. Nous sommes tous touchés, il faut donc continuer à développer la démocratie. Et pour ça, il faut dépasser l’état-nation et développer une législation mondiale.

Mais il est difficile de s’attaquer aux multinationales…

Il y a actuellement un contre-projet sur les multinationales. Glencore, qui se moque des droits humains et des droits fondamentaux, veut verser 8 millions de francs pour faire capoter le projet. Alors on dit : ce n’est pas la démocratie ça ! Les multinationales ont des ressources et on ne peut pas s’opposer à elles. Il ne faut pas tomber dans ce piège. Les citoyens ne sont pas assez émancipés et informés. L’enjeu, c’est une bataille de l’information, de l’éducation et une question d’équilibre social. Mais on ne peut pas remplacer les citoyens pour résoudre le problème. Il faut qu’ils soient convaincus, on ne peut pas les forcer comme dans un système autoritaire.

Et s’il y a des situations de catastrophes, comme des pénuries d’eau, d’alimentation ou des grands mouvements de population ?

Il faut éviter ces situations où la démocratie ne marche plus. Si nous n’avons plus d’eau potable, ce sera la catastrophe. Il sera trop tard. Mais il faut justement s’assurer qu’on n’en arrive pas là. C’est bien de connaître les risques, mais il ne faut pas se laisser paralyser par ces dystopies. Sur la question des réfugiés, je suis d’avis que nous devrons les traiter comme des réfugiés de guerre. Le Vanuatu a déjà trouvé des accords dans ce sens avec la Nouvelle Zélande et l’Australie. Il faut donc préparer la situation pour éviter que ces choses ne se produisent.

Le mouvement Extinction Rebellion, c’est une chance ou un risque pour la démocratie ?

Une chance ! En plus, le mouvement a le soutien des milieux scientifiques, ce qui est assez nouveau. La désobéissance civile fait partie de la démocratie, qui est un processus toujours en construction. Il y a toujours eu des moments dans l’histoire où des gens ont eu le courage de dépasser les lois et les injustices. C’est une chose importante et nécessaire. Mais cette légitimité à agir illégalement devrait se faire quand tous les moyens légaux ont été épuisés. Et il reste encore des possibilités aujourd’hui. L’initiative est une manière de faire entrer des nouveaux concepts dans la société, de l’influencer pour qu’elle soit plus humaine.


Entre Brexit et montée des nationalismes, quel avenir pour la démocratie européenne?

Andreas Gross: « La démocratie n’existe pas aujourd’hui en Europe. Il y a cent ans, les Etats ont fondé des marchés, aujourd’hui, ce sont les marchés qui dirigent les Etats. Le Brexit c’est le reflet d’un pays qui a perdu son pouvoir de décision, qui en a marre de se faire diriger par les lobbies à Bruxelles. Et les pays de l’Est aimeraient s’émanciper. Ils ont toujours été sous des régimes autoritaires : le fascisme, le communisme et maintenant le capitalisme. C’est un cri du cœur. Dès le début, le capitalisme a été un système global, mais la démocratie est restée au niveau national. On doit développer la démocratie en mettant sur pied une Europe fédérale, comme l’a imaginée Denis de Rougemont. »

Retrouvez les travaux d’Andreas Gross sur son site internet: https://www.andigross.ch/

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