Ezra Sibyl Benisty fait partie des 15’000 personnes non-binaires vivantexs en Suisse. Un 3e genre que le Conseil fédéral a refusé de reconnaître légalement dans le registre de l’état civil en décembre dernier. Rencontre avec cet-te artiste qui utilise son art pour affirmer son identité.

Pour s’affranchir des codes binaires, Ezra Sibyl Benisty utilise la poésie, le théâtre, la musique et la photographie. © Ezra Sibyl Benisty – Autoportrait
C’est dans son petit appartement lausannois au cœur du quartier de l’Hermitage qu’Ezra m’accueil avec un thé noir, autour de sa nouvelle table basse en carrelage vert irlandais, venue tout droit de Turquie. L’endroit est lumineux, calme, apaisant, tout comme iel. Ezra à 30 ans, des boucles noires parfaitement définies, des yeux bleus magnifiés par une touche d’émeraude sur ses paupières. Aucun élément de son univers n’est explicitement genré, hormis sa chatte, Callie. Et pour cause, Ezra ne se définit ni au « masculin », ni au « féminin ». Ni « il », ni « elle », mais « iel », un pronom personnel neutre. C’est avec l’anglais, sa « langue de l’affect » comme iel l’appelle, qu’Ezra a pénétré cette identité, au travers du pronom personnel « they », un pronom neutre, en dehors de la binarité.
La langue de Molière, iel apprend très rapidement à la manier dans une école internationale sur les bords du lac Léman. Elle l’aidera à s’émanciper. Ce n’est donc pas un hasard si elle est toujours au cœur de sa vie : Ezra est chercheureuxse en littérature anglaise et traducteurixce indépendantex. « Le neutre anglais m’a directement appelléx Je me suis dit : c’est possible d’exister hors des catégories homme/femme ».
Une existence que le gouvernement a pourtant récemment refusé de reconnaitre officiellement, argumentant que la population suisse ne serait mentalement pas assez préparée et que ce changement engendrerait une surcharge administrative. « Le plus difficile à entendre, c’est le second argument. Ce que je lis là-derrière, c’est que nous ne sommes pas assez importantexs pour que les choses valent la peine d’être changées ». En Suisse, on estime à 15’000 le nombre de personnes se définissant comme non-binaire.
Ezra est déçuex, en colère, mais pas surprixse. Iel liste sur ses doigts les droits introduits tardivement dans notre pays : droit de vote des femmes (1971), droit à l’avortement (2002), pénalisation de l’homophobie (2020) ou encore mariage pour touxtes (2021). La politique des petits pas læ met en colère : « Celles et ceux qui décident ne se rendent pas comptent que ce n’est pas juste une histoire administrative entre-elleux. Cela à des conséquences sur la vie des gens. Dire non au troisième genre, c’est renforcer l’idée qu’iels n’existent pas et cela augmente les violences transphobes ainsi que le taux de dépressions et de suicides chez les personnes queer. Ce n’est pas juste un pronom sur un papier que personne ne lit, c’est une question de vie humaine ».

« Ce n’est pas juste un pronom sur un papier que personne ne lit, c’est une question de vie humaine ».

L’art comme moyen de survie
Ayant grandi dans ce pays qui ne læ reconnait pas, Ezra s’est fabriquéx sa propre arme de défense : l’art. Iel s’épanouit dans la photographie, la poésie, le théâtre et la musique. Des supports qu’iel utilise comme thérapie pour parfaire son identité et la partager avec d’autres. « Il est important de montrer au public que la non-binarité existe, que c’est une réalité pour beaucoup de gens ».

« Il est important de montrer au public que la non-binarité existe, que c’est une réalité pour beaucoup de gens ».

C’est en 2020 qu’Ezra produit sa première performance littéraire et musicale, au château Bohème à Fribourg. Prixse de passion, iel se lance dans la rédaction d’une série de textes semi autobiographique. Parmi eux, trois performances qui parlent respectivement de sa mère, de son père et de son frère. Un entourage avec qui iel n’a plus contact aujourd’hui. « J’ai dû faire des choix. Soit je sauvais ma peau, soit on y passait touxtes. Aujourd’hui ce n’est plus un poids, notamment grâce à mes pratiques artistiques ». Ezra produit également de la musique, iel à tout appris en autodidacte. Sur les murs de son salon trônent ses sources d’inspiration : les chanteuses Clara Luciani et Pomme, ainsi que l’écrivain vietnamo-américain Ocean Vuong. Des personnalités qui ellui ressemblent, qui ont un impact sur le monde.
L’émancipation par le corps
Sa délivrance est aussi passée par la photographie. « J’utilise des polaroïds. Contrairement au numérique, on peut s’en débarrasser ou les mettre un moment de côté si on le souhaite ». Les autoportraits qu’iel réalise ellui permettent de proposer ce qu’iel veut aux autres de son corps. C’est iel qui décide, tout comme avec le travail du sexe, qu’Ezra pratique sporadiquement. C’est cela qui l’a aidéx à s’émanciper des rôles binaires de la société et à éviter les agressions. « Je choisis mes clientexs et je rentre dans un rôle que j’ai choisi. Contrairement aux applications de rencontres, je n’ai jamais subi de violence dans le cadre de ce travail ».
Militer par la langage
A côté de cela, Ezra donne également des ateliers sur le langage inclusif et non-binaire. C’est sa manière de lutter, de faire sa part. « J’utilise mes connaissances et mon vécu pour dévoiler une autre manière d’écrire, de parler et de vivre », confie Ezra. Iel-même a du tout réapprendre : sa manière d’exister dans la société, de relationner avec les autres et avec son corps, d’avoir des relations sexuelles, de tomber amoureuxse, etc.  » C’était un travail long et pénible. Tout le monde n’est pas prêt à le faire. En général, la violence vient de là. Certaines personnes ne supportent pas que l’on réussisse à s’affranchir des dictats de la société. Elles considèrent que si elles doivent s’y plier, alors nous aussi « . Avec ses ateliers, Ezra espère aider les plus jeunes à grandir comme iels le souhaitent.

« J’utilise mes connaissances et mon vécu pour dévoiler une autre manière d’écrire, de parler et de vivre ».

Pour avoir plus d’impacte, Ezra espère à l’avenir pouvoir donner des ateliers dans les milieux scolaires et professionnels.

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