Francis Dumas, l’amoureux des gens tire sa révérence

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Passage de témoin Après près de trois décennies au service de sa commune, dont deux à sa Présidence, Francis Dumas s’apprête à laisser sa place. Un petit tremblement de terre du côté de Nendaz.

Vingt ans plus tard, Francis Dumas tourne le dos à la politique et à la Présidence de sa commune. (Crédit photo: Le Temps)

À l’extérieur de ce café du centre de la station, l’hiver prend peu à peu ses marques. Les arbres perdent leurs couleurs automnales et commencent à se dénuder, les sommets pas si lointains se vêtissent de leur manteau blanc et chaque respiration des passants s’accompagne d’une légère fumée sortant de leur bouche. Puis soudain, deux mots. Prononcés par un retraité attablé, un verre de fendant devant lui, ils viennent réchauffer l’atmosphère: «Salut Président!»

«Président», c’est donc lui: Francis Dumas. Bientôt 65 ans, le regard vif, la moustache épaisse et le sourire contagieux perceptibles même à travers le masque. «Président», un titre qui l’accompagne depuis 20 ans maintenant: «Pourtant, je n’étais pas prédestiné à assumer ce rôle. Déjà parce que Dumas n’est pas le nom le plus porté dans la commune, ce n’est donc pas si facile d’être élu. Et aussi parce que la politique ne m’intéressait pas tant que ça à l’époque.»

Privé d’un père qu’il n’a jamais connu

À l’époque, notamment à celle lors de laquelle il vécut entre le Valais et Genève. Privé de son père, décédé avant même sa naissance, il est élevé en partie par ses grands-parents. «Ma mère était obligée de travailler et dans les années 50, il n’y avait pas de travail pour une femme en Valais. Elle a donc été forcée de s’exiler à Genève.» Où son fils la rejoindra une fois atteints les 14 ans. Une expérience compliquée mais qu’il ne regrette aucunement aujourd’hui. Celle-ci lui a en effet permis de mener à bien ses études et d’obtenir son certificat d’ingénieur spécialisé dans le domaine de la microtechnique. Aucun emploi n’étant  alors disponible en Valais dans ce secteur d’activité, il s’engage au sein d’une entreprise basée à Aigle où il gravit les échelons jusqu’à se retrouver à la tête de 380 employés. Le tout alors qu’il n’a que 28 ans. «Mais je savais que ce métier n’était pas fait pour moi sur la durée. J’ai donc fondé une société d’échafaudages avec mon cousin et celle-ci a très vite bien fonctionné. Cela prouve, notamment aux jeunes, que changer de métier est quelque chose de tout à fait possible.»

Une carrière professionnelle et une attitude proactive qui ont certainement joué un rôle sur le chemin le conduisant à ce destin politique: «C’est vrai. J’ai refusé par trois fois de m’engager mais les gens ont insisté. J’ai finalement dit oui pour rejoindre le Conseil communal. Quatre ans puis huit et je me suis retrouvé à la Présidence. La suite, vous la connaissez…»

«J’ai souvent fait des nuits blanches ces vingt dernières années.» – Francis Dumas

La suite, ce sont donc ces vingt-huit années passées à siéger au Conseil communal dont vingt dans la peau du président. Cinq mandats assumés par l’élu PDC. Une longévité rare. «La proximité que j’ai toujours entretenu avec la population a joué un grand rôle dans la confiance que celle-ci m’a accordée», témoigne celui qui ne se déplace jamais sans emporter avec lui le sceau de la commune. Ceci afin «d’éviter aux gens de devoir se déplacer pour légaliser une signature». C’est donc lui, le Président, qui vient à la population plutôt que le contraire.

D’Aproz en plaine à Haute-Nendaz, en passant par les plus petits villages de la commune, beaucoup lui ont ouvert leur porte pour un café, souvent, un peu plus, parfois. Des moments toujours très agréables comme il le dit. Mais qui l’ont aussi mis dans des situations parfois difficiles: «De la femme qui se fait battre par son mari à d’autres problèmes familiaux très graves, notamment des questions d’héritage périlleuses à résoudre, à Nendaz on appelle le Président plutôt que quelqu’un d’autre. Et je suis humain donc tous ces cas me touchent au plus profond de moi-même. Je peux vous assurer que j’ai souvent fait des nuits blanches ces 20 dernières années.»

Un héritage très important pour la commune

À l’entendre parler et évoquer tous ses souvenirs, impossible de donner tort à Francis Dumas lorsqu’il affirme, en poursuivant son café, tout l’amour qu’il éprouve pour sa commune et ses habitants: «Je suis un vrai amoureux des gens». L’héritage qu’il laissera derrière lui une fois son mandat terminé, «j’ai bientôt 65 ans, je pense qu’il est temps que je pense un peu à moi et que je passe la main», est très important. En 20 ans, plus de 220 millions ont été investis par Nendaz pour améliorer ses services et ses infrastructures. Deux centres scolaires, des crèches, des UAPE, une maison de la santé. Le visage du lieu a passablement changé. Sa situation financière également: «On est passé de 22 à 44 millions de revenus, on a baissé à quatre reprises nos impôts et malgré tous les investissements entrepris, on a très peu de dettes.»

Mais le principal intéressé, plein d’humilité, refuse de tirer la couverture à lui et de s’attribuer tous les mérites. Il insiste plutôt sur le rôle joué de concert par l’ensemble des membres du Conseil communal, quel que soit le parti politique auquel ils appartenaient : «Je suis fier de pouvoir dire que depuis ma prise de fonction, aucun vote à main levée n’a jamais eu lieu autour de la table du Conseil, on s’est toujours mis d’accord sur tous les points très facilement.»

«Les poignées de main, les parties de rigolade sur les terrasses et les apéros, tout cela me manque énormément.» – Francis dumas

S’il avait annoncé ne pas vouloir se présenter pour un sixième mandat bien avant que la pandémie ne fasse son apparition dans nos contrées, le résidant de Baar reconnaît qu’il aurait aimé d’autres conditions pour sa sortie. «C’est vraiment pénible comme situation. Je pense avant tout aux résidents des EMS qui ne peuvent plus recevoir de visites, certains se laissent mourir… L’être humain n’est absolument pas fait pour vivre une période telle que celle-ci.»

Privé «des trois quarts de l’administration communale qui est sur les plots», Francis Dumas l’est aussi de ce qui a fait sa force en tant que Président : les contacts humains. «Les poignées de main, les parties de rigolade sur les terrasses et les apéros, tout cela me manque énormément.» Et si cette fin de mandat est difficile à vivre, son début l’avait été tout autant. Alors Président intérimaire, son prédécesseur avait déjà été élu à l’Etat du Valais, il avait connu une année 2000 marquée par plusieurs catastrophes : un accident d’hélicoptère mortel, les crues du Rhône en plaine et la rupture du puits blindé de Creuson-Dixence. «Je me suis alors dit que je devrais faire autre chose de ma vie…»

Prêt à descendre du ring

L’homme a finalement tenu bon là où beaucoup d’autres auraient certainement jeté l’éponge. Il a tenu 20 ans, «les bonheurs étaient heureusement plus nombreux que les crève-cœur» avant de passer le témoin, ce sera fait d’ici deux mois, à un collègue de parti : Frédéric Fragnière. «Il était pour moi le plus compétent autour de la table du conseil pour reprendre ce rôle. C’était important de bien préparer ma succession contrairement à ce qui a été fait ailleurs parfois et il fallait quelqu’un qui ait les épaules pour monter sur le ring.»

Le ring, celui sur lequel il faut «prendre des décisions, savoir dire oui ou non pour régler des problèmes.» Ce ring que s’apprête à quitter Francis Dumas. Lequel ne pense pas ressentir de nostalgie dans les mois à venir : «Personne n’a jamais enlevé son chapeau pour me saluer comme cela se faisait avec les Présidents à l’époque donc finalement, peu de choses vont changer. J’aurais juste un peu plus de temps pour moi.»

Du temps qu’il pourra consacrer à ses loisirs: il partira au bord d’un lac avec sa femme et leur petit bus VW acheté il y a quelques années, il chaussera ses skis pour dévaler les pistes du domaine nendard en hiver où il montera en selle pour l’une de ses «petites ballades à vélo qui me permettent de me vider la tête». Et il passera là, devant ce café du centre de la station. Où il ne fait aucun doute qu’à son passage, malgré ce titre qu’il n’aura plus officiellement, deux mots résonneront encore longtemps: «Salut Président!»


Bio

1956 Naissance puis enfance en Valais jusqu’à l’âge de 14 ans
1970 Il rejoint sa mère à Genève, étudie à l’école d’ingénieur où il décroche un diplôme de spécialiste en microtechnique
1984 À 28 ans, il devient directeur d’une grande entreprise d’horlogerie basée à Aigle
1993 Il est nommé au Conseil communal de Nendaz
2001 Après avoir assumé le rôle de vice-président durant quatre ans, il est nommé à la Présidence de la commune
2019 Il est nommé à la Présidence du conseil d’administration du distributeur d’énergie SEIC
2021 Après cinq mandats successifs, il passera le flambeau à un autre PDC : Frédéric Fragnière

Christophe Moreillon

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