INTERVIEW – « On risque de perdre notre identité ! »

0
348

POLITIQUE – Présidente de la section vaudoise pour la francophonie, Laurence Cretegny explique la guerre des langues en Suisse et s’interroge sur l’avenir du pays en cas d’acceptation de l’initiative st-galloise contre le français.

Laurence Cretegny ne veut pas abandonner le combat de « son » français, élément essentiel de la culture suisse. © Sarah Rempe

Dans son bureau communal de Bussy-Chardonney (VD) dont elle est la syndique, Laurence Cretegny est fidèle à elle-même : souriante, disponible mais également sûre de ses convictions. Parmi celles-ci, le français, un cheval de bataille auquel elle tient et qui n’a jamais été autant d’actualité. En effet, ce week-end, le canton de St-Gall va se prononcer sur une initiative proposant de se retirer du concordat HarmoS. En cas d’acceptation, l’apprentissage du français en primaire serait abandonné.

La Suisse vit-elle une guerre des langues ?
Oui, absolument ! Et c’est malheureux. J’en ai fait moi-même l’expérience récemment en démissionnant du comité suisse d’Agritourisme. J’y avais adhéré car on m’avait promis que les documents seraient traduits en français. J’ai vite déchanté. Non seulement ça n’a jamais été le cas, mais tout le monde parle dans son propre dialecte. De plus, lorsque quelqu’un traduit des propos en français, il le fait n’importe comment. Il n’y a aucun effort fourni des uns envers les autres et c’est triste. Pareil l’autre jour à Berne lors d’une réunion d’une commission inter-cantonale. La séance a été donnée uniquement en Berndutsch, alors que l’on est au Parlement, un lieu censé prendre en compte toutes les langues nationales.

Comment expliquer ce clivage ?
L’anglais a pris le dessus, tout simplement. Tout ce qui se passe au niveau international se déroule dans la langue de Shakespeare. Pas étonnant dès lors que c’est cette dernière que l’on souhaite apprendre avant une langue nationale. Et on parle de la suisse alémanique, mais on n’est pas mieux en suisse romande. Quand on voit que le patron d’une entreprise internationale vivant dans le canton de Vaud depuis plus de 10 ans ne parle pas un mot de français car sur son lieu de travail on ne s’exprime qu’en anglais, il n’est pas étonnant que l’on en oublie l’allemand…et même le français !

Comment se fait-il que la Suisse avec sa tradition du compromis n’arrive pas à régler ce souci ?
Je pense que ça vient de notre multilinguisme qui est une chance mais aussi une difficulté. Si on ne parlait qu’une seule langue, il n’y aurait pas ce problème. Regardez la Chine et la Russie, leur langue est une force culturelle. Et puisqu’ils se comprennent au sein de leur pays, ils peuvent par la suite et par envie apprendre une autre langue. En Suisse, on a notre langue, ensuite il faut en apprendre une deuxième pour se comprendre au sein du pays, puis une troisième pour se faire comprendre partout ailleurs.

On doit donc faire plus d’efforts que les pays unilingues ?
Oui, et c’est compliqué pour certains écoliers qui ont peut-être plus de difficultés pour les langues. On veut que les jeunes fassent de plus en plus d’études et deviennent tous ingénieurs ou architectes, du coup on est convaincu que l’anglais est un passage obligé. Si on favorisait d’avantage l’apprentissage, je pense que ce souci se poserait moins. Mais c’est un autre débat…

St-Gall va se prononcer sur une initiative visant à quitter le concordat HarmoS et ainsi, à supprimer l’apprentissage du français en primaire. Comment réagissez-vous à cette éventualité ?
Je me demande comment les autres cantons alémaniques vont réagir… Il pourrait bien y avoir une barrière de Röstis qui s’élève, et ça me fait peur. Si Saint-Gall vote pour la suppression du français, la Suisse va vers une perte d’identité. Est-on prêt à ça ? On n’a pas voulu rentrer dans l’Europe justement car c’est ce qu’on craignait, on parle de plus en plus de fusions entre des communes, mais on est réfractaire car on a peur de perdre notre identité. Si on parle tous anglais, on va la perdre. Mais c’est peut-être un passage obligé…

Qu’entendez-vous par là ?
Je me dis que peut-être, si on se met d’accord pour choisir l’anglais comme deuxième langue, on pourra tous se comprendre. Certes on perdra une partie de notre identité, mais au profit d’une nouvelle cohésion nationale… Chacun parlerait la langue de sa région et, pour communiquer d’une région à l’autre, on parlerait anglais. Au moins on est sûr que les générations futures pourront se comprendre et n’est-ce pas ça le plus important ? On est à un carrefour, et quelle que soit la direction, il faut que tout le monde prenne la même.

Interview réalisée par Sarah REMPE.