INTERVIEW La Neuchâteloise du Conseil des Etats vit actuellement sa deuxième grossesse. La Verte s’est vite rendu compte que le Parlement n’était pas adapté aux nouvelles mamans.
Stéphanie Wenker: Comment s’est passé cette dernière année pour vous, depuis votre élection au Conseil des Etats ?
Céline Vara: C’était une année chargée. Nous sommes une délégation de cinq Verts sur 46 élus. C’est donc difficile de faire passer nos idées, en comparaison avec la délégation verte du National, composée d’une trentaine de membres. En plus, je suis toujours en minorité : je suis membre d’un parti de gauche, je suis romande, je suis une femme… Et puis je suis indépendante avec mon étude d’avocats, et j’ai une enfant… Je ne m’ennuie pas !
Son portrait: Céline Vara, entre mère de famille et politicienne
En plus de tout ça, vous êtes enceinte, ce qui rajoute une charge. Et vous avez découvert que le Parlement n’est pas forcément adapté pour les femmes enceintes…
Il y a deux choses. D’abord, il faut savoir qu’il y a déjà eu une femme enceinte au Conseil des Etats : Pascale Bruderer (red: l’Argovienne a siégé de 2011 à 2019). Mais personne ne se souvient de cette grossesse, probablement parce que Pascale s’était faite discrète. Je me suis vite rendu compte qu’il n’y avait pas la structure adéquate au Parlement. Il y a une salle d’allaitement qui vient d’être mise en place grâce à Isabelle Moret. Mais on ne vous propose pas de soutien personnel, donc il faut faire venir un proche pour garder l’enfant. Il n’y pas non plus la possibilité d’instaurer de suppléance au plénum, alors qu’on sait à quel point le vote peut être serré aux Etats.
Et venir voter vous-même ?
Comme Conseillère aux Etats, je bénéficie de 16 semaines de congé maternité. Je peux donc venir voter en plénum sans que ce droit soit remis en question. Par contre je ne dois pas m’exprimer à la tribune ! A l’inverse, ma caisse de compensation dans le canton de Neuchâtel estimait que voter quelques fois à Berne prouvait ma capacité à reprendre le travail dans mon étude. Ce qui n’est pas le cas ! Aujourd’hui nous sommes en discussion. Nous allons trouver un accord.
En l’absence d’un système de suppléance, je me retrouve face à un dilemme: bénéficier du congé maternité pour lequel des femmes se sont battues pendant de nombreuses années ou y renoncer en partie pour venir en session parlementaire. Tant que les pères n’auront pas un congé paternité de même durée, ce sera toujours discriminant.
Je suis aussi stupéfaite de constater qu’une minorité de mes collègues pensaient que j’allais arrêter mon mandat du fait de ma grossesse. Nous sommes en 2020 quand même.
« On constate qu’il manque de femmes, mais on ne fait pas grand-chose pour les convaincre de s’engager. »
Ces dernières années, les femmes ont été encouragées à prendre leur place dans le monde politique. On a vu l’importance de la vague violette l’année dernière. Est-ce que ce manque de solutions pour la maternité au Parlement n’est pas un frein à l’engagement politique des femmes ?
Evidemment ! C’est même un paradoxe. On constate qu’il manque des femmes en politique ou dans un poste à responsabilité. Mais on ne fait pas grand-chose pour les convaincre de s’engager. La politique familiale en Suisse n’est pas adaptée. Par exemple : pour trouver une place en crèche, il faut se lever de bonne heure aujourd’hui. Résultat, c’est encore souvent la femme qui arrête son activité.
Est-ce que ce n’est pas justement au Parlement de montrer l’exemple ?
Bien sûr ! On pense que beaucoup de choses sont acquises aujourd’hui en Suisse. Mais finalement on mène toujours une politique conservatrice. Nous sommes clairement à la traine. Côté allocations familiales, on touche 220 francs par enfant dans le canton de Neuchâtel. C’est ridicule.
« J’ai de la chance car Pierre est très présent. »
Vous accouchez en décembre. Est-ce que votre organisation va évoluer par rapport à la naissance de votre premier enfant ?
C’est totalement impossible de reproduire le même schéma que la première fois.. Actuellement la semaine est divisée entre Pierre, mon conjoint, nos parents et moi. C’est une organisation qui change forcément quand je suis trois semaines en session à Berne. Je n’ai plus mon mercredi à disposition pour Mathilde. Il m’arrive même de dormir à Berne. J’ai de la chance car Pierre est très présent. Son employeur est compréhensif, il arrive à prendre des congés plus facilement.
Et là aussi, tout le monde me dit à quel point mon conjoint est fabuleux de s’occuper de notre fille. Mais personne ne fait ce genre de compliments à des femmes qui font ça tous les jours…
Donc vous dites qu’il est important d’avoir un conjoint compréhensif lorsqu’on est actif en politique ?
Oui, il doit être engagé. On parle beaucoup de politique avec Pierre. D’ailleurs, c’est un sujet qui use au bout d’un moment. La politique prend toute la place. J’ai 36 ans et je suis déjà fatiguée (rires).
D’ailleurs en tant que femme, j’ai aussi constaté qu’on n’a pas le droit à l’erreur en politique. C’est terrible. On l’a vu avec les dernières élections communales neuchâteloises : plusieurs femmes ont été évincées de leur poste au sein d’exécutifs.