Valérie Piller Carrard défend le parti à la rose et ses idéaux depuis 23 ans. Si la conseillère nationale fribourgeoise admet s’être habituée à la défaite face à une droite majoritaire, elle dit se sentir enfin à sa place et efficace, à Berne. Portrait.
Elle nous accueille à la porte avec un sourire fatigué, dans un brouillard que la Broye ne connaît que trop bien. «C’est le soupe à la grimace, ce matin», lâche Valérie Piller Carrard, non pas en allusion à la météo fribourgeoise maussade, mais à la tempête qui sévit outre-Atlantique. L’élection de Donald Trump ne sera officialisée que quelques heures plus tard mais déjà, le résultat ne fait plus l’ombre d’un doute. «Un nouveau plébiscite qui contribue à normaliser l’extrême droite», s’inquiète la conseillère nationale socialiste, dont les dossiers actuels, d’un coup, prennent une allure dérisoire. «Ma foi, il faut continuer à se battre pour les choses sur lesquelles nous avons une emprise», souffle-t-elle.
Pour aider au réveil, une tasse de thé, servie sur une longue table à manger. L’imposante cheminée, sise dans le séjour du domicile familial de Cheyres, restera froide, tandis que l’hôte des lieux s’enveloppera dans des habits décontractés – «vous n’allez pas prendre de photos, hein?»
Contre les injustices
Elle dira avoir travaillé jusqu’à 1h30, la veille, parce que «la période est très chargée». Outre le quadruple «non» qu’elle défend lors des prochaines votations fédérales du 24 novembre, la socialiste œuvre «sur plusieurs dossiers», au sein de la commission de la santé et des affaires sociales. Commission taillée pour elle, semble-t-il. Ne défend-elle pas, de ses propres mots, «la veuve et l’orphelin»?
«Le socialisme s’est imposé comme une évidence», rappelle celle dont les premiers pas en politique remontent à 1998, à 20 ans tout juste pour une première campagne. Elle rejoindra le parti à la rose deux ans plus tard, avant sa première élection, au Grand Conseil fribourgeois, à 23 ans. Là, elle se forgera une expérience qui lui offrira la crédibilité nécessaire à briguer un poste de conseillère nationale.
Après deux coups dans l’eau (en 2003 et en 2007), la troisième est la bonne. En 2011, «VPC» s’adjuge un siège dans la Berne fédérale avec l’espoir de changer le monde et un pragmatisme qui lui rappelle qu’il n’en sera rien. «Les débuts ont été rudes, je n’avais pas le réseau que j’ai développé aujourd’hui. Honnêtement, il faut deux législatures avant de devenir vraiment efficace. Mais maintenant, je m’éclate!»
Une polarisation accrue
Vice-présidente du 2e parti de Suisse, la maman de deux garçons se dit socialiste jusqu’au bout des ongles, et ce, «toujours davantage au fil des ans». Bien que son profil de fille d’ouvrière, issue d’un milieu modeste, ne corresponde plus autant au public-cible d’un parti devenu plus citadin, moins représentant, aussi, d’une classe ouvrière dont une part importante trouve désormais refuge auprès de l’UDC. «Tous les partis ont évolué, la société aussi. Plus que ça, ce qui m’inquiète, c’est la polarisation politique qui s’accroît et nous éloigne de l’équilibre vers lequel nous devrions tendre.»
La législature version 2023-2027 n’a rien d’une sinécure, pour la gauche minoritaire qu’elle représente, bloquée plus souvent qu’à son tour par la droite conservatrice. «J’ai appris à perdre beaucoup», admet-elle. «Parfois, je me dis, «mais qu’est-ce que je fous là, à bosser de la sorte pour ne pas parvenir à faire bouger les choses d’un iota?» Certains jours donnent envie de tout planter et de partir s’installer sur une île déserte.» Pause. «Mais, recommence-t-elle avec une lueur retrouvée dans les yeux, d’autres apportent de petites victoires et un peu de reconnaissance. Il m’arrive qu’on m’arrête, dans la rue, à la Migros, pour me remercier et m’encourager à poursuivre mon engagement. Ça n’a pas de prix.»
Valérie Piller Carrard aura passé la moitié de ses 46 ans dans un Législatif et de nombreuses heures à tenter de se défaire d’une étiquette de «politicienne discrète», que les journalistes lui auront rapidement collé. «L’adjectif n’est pas erroné, en soi. Mais il a une valeur péjorative qui me dérange. Je suis discrète dans le sens où je ne me pavane pas sur le devant de la scène, en figurant tous les jours dans les médias, mais j’essaie de mener mon travail à bien pour atteindre mes objectifs. Et puis, la politique est un travail d’équipe. Messi et Ronaldo ne seraient rien si personne ne les aidait à briller.»
«Je ne pourrais pas faire de la politique si je n’étais pas moi-même.»
Quel footballeur représenterait au mieux, alors, les qualités de la Fribourgeoise? «Je n’en sais rien, ce n’était pas le bon exemple car je n’y connais rien au foot, admet-elle en riant. Ce que je veux dire, c’est que je ne pourrais pas faire de la politique si je n’étais pas moi-même. La fois où j’ai voulu jouer un rôle, en devenant agressive voire un peu méchante dans la discussion, je m’en suis voulu, ça ne me ressemblait pas.»
Malgré son côté «spontané, peut-être un peu trop», la professionnelle de la politique maîtrise aussi l’art de la langue de bois, «quand il le faut». «Parfois, pas le choix! Et il faut veiller à ne pas tomber dans le piège du journaliste, qui me posera quinze fois la même question mais de différente manière, jusqu’à me faire craquer.» Un jeu qui n’a plus de secrets pour la Glânoise d’origine, forte de treize années d’expérience sous la coupole. Quand question lui sera posée de savoir quel titre elle choisirait pour sa propre biographie, elle dira d’ailleurs: «Les dix règles à connaître pour convaincre, à Berne.» Puis de conclure: «Je serais plutôt dans l’accompagnement et le conseil que dans une volonté d’écrire mes mémoires.»