« Regrouper des personnes handicapées en institution est un processus ségrégatif »

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L’ONU a sévèrement critiqué en mars dernier les retards de la Suisse dans la mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH). Une initiative populaire qui devrait être déposée dans les prochains mois demande une modification de la Constitution fédérale pour plus d’inclusion.

Raphaël de Riedmatten est directeur de la faîtière des associations de personnes avec handicap Agile.ch et membre du groupe de pilotage de cette initiative. S’il salue les avancées « majeures » que représentent l’introduction de la contribution d’assistance en 2012 – une aide financière pour les personnes handicapées souhaitant mener une vie autonome – et la ratification de la CDPH par la Suisse en 2014, il dénonce la lenteur des progrès. Retards criants en termes d’accessibilité et manque d’alternatives à la vie en institution font partie des domaines prioritaires d’action.

Raphaël de Riedmatten est en « situation irrégulière de handicap » : il ne peut pas monter dans un vieux train CFF, mais peut se rendre sans problème dans le café où nous avons rendez-vous (© Wiktoria Bosc)

Vous prévoyez de soumettre une initiative populaire « pour l’inclusion » qui exige une modification constitutionnelle afin de garantir l’égalité de droit effective des personnes en situation de handicap. Qu’entendez-vous par là ?

Actuellement, la Constitution oblige la Confédération à lutter contre certaines discriminations, mais pas à prendre des mesures pour garantir l’égalité de fait des personnes handicapées. On demande un changement de paradigme.

« Il faut que le choix – entre vie autonome et vie en institution – soit entièrement garanti pour toutes et tous. »

Le texte exige également plus d’autodétermination.

Oui, effectivement. En Suisse, il y a un certain nombre de personnes en situation de handicap qui n’ont pas d’alternative à une prise en charge institutionnelle. Le texte demande de garantir un libre choix à l’autonomie et d’assurer que des prestations soient mises à disposition des personnes en situation de handicap. Certains bénéficient déjà d’une plus grande liberté de choix, grâce à la contribution d’assistance notamment. Il faut que le choix – entre vie autonome et vie en institution – soit entièrement garanti pour toutes et tous.

Vous parlez d’inclusion et pas d’intégration. Pourquoi ?

La différence est fondamentale. Quand on parle d’intégration, ça veut dire que la personne doit s’adapter à la société. Quand on parle d’inclusion, on se réfère à une société qui a une place pour chacun.

Pourriez-vous nommer des exemples d’exclusion ?

L’inaccessibilité au sens large. Cela va des logements aux lieux de travail, en passant par les institutions culturelles. De plus, la vie en institution ne permet pas aux personnes handicapées une inclusion dans la société.

Le texte est en discussion. Les différents partenaires arriveront-ils à se mettre d’accord ?

Nous sommes d’accord sur le contenu et sur la nécessité de changement. La Suisse a signé la convention sur le droit des personnes handicapées sans se rendre vraiment compte de la portée du texte et en pensant qu’elle faisait tout bien. Mais dans la réalité des faits, la plupart des personnes handicapées sont exclues de la société. On est très avancé dans le processus de rédaction qui est participatif. Il est clair que nous avons besoin du soutien des grandes organisations actives dans le domaine du handicap. Nous travaillons actuellement sur la formulation et les éléments à inclure pour que l’initiative soit équilibrée.

Pourquoi se saisir du sujet maintenant ?

Cette initiative reflète l’impatience d’un certain nombre de militants de la cause des personnes handicapées, d’une nouvelle génération qui en a marre d’attendre et qui voudrait que les choses avancent plus vite. C’est incroyable le temps qu’il faut pour que les choses changent ! On a laissé vingt ans aux transports publics pour s’adapter et ils ne sont toujours pas accessibles de manière autonome pour tout le monde alors que c’est un droit citoyen.

Qu’avez-vous pensé de l’attitude de la Suisse lors de son examen par le Comité onusien de la CDPH en mars dernier ?

Les représentants de la Confédération et des cantons étaient sur la défensive et relativement arrogants. Ils ont beaucoup insisté sur les acquis sociaux de la Suisse tels que les assurances sociales et autres prestations, mais pas sur la perspective de droits humains. Dans les faits, les prestations sont allouées sur la base de l’assurance invalidité et liées à la notion d’incapacité de travail. Tout est construit sur cette logique d’assurance sociale, pas sur les principes d’égalité des droits et d’inclusion. Cela reflète le point de vue de la population suisse en général qui pense que les personnes handicapées sont bien loties, qu’elles reçoivent l’assurance invalidité et que tout va bien. C’est une des raisons pour lesquelles nous voulons lancer cette initiative. La Suisse est très lente dans la mise en œuvre de la Convention sur les droits des personnes handicapées.

« Une des raisons pour lesquelles on est peu conscient des difficultés des personnes en situation de handicap en Suisse, c’est qu’on ne les voit pas assez dans la rue. »

La Suisse est-elle vraiment à la traîne, en comparaison européenne notamment ?

En Hollande par exemple, on voit plus de personnes en situation de handicap dans la rue et ça fait plus longtemps qu’une contribution d’assistance existe. Beaucoup d’autres pays sont bien plus en avance que la Suisse qui est quand même l’un des pays les plus riches du monde. L’accessibilité est bien meilleure aux États-Unis où il n’y a pas un bâtiment public qui n’est pas accessible. Une des raisons pour lesquelles on est peu conscient des difficultés des personnes en situation de handicap en Suisse, c’est qu’on ne les voit pas assez dans la rue.

L’attention médiatique autour des cas de maltraitance et des dysfonctionnements aux institutions genevoises de Mancy et Clair Bois a-t-elle permis de donner un coup de projecteur sur les manquements des politiques publiques touchant au handicap ?

J’aimerais le croire. Ce qui m’a gêné dans les débats autour de Mancy, c’est qu’on a tendance à dire que c’est le cas d’une seule institution mal gérée, alors que la problématique structurelle n’a pas été suffisamment adressée. Ce n’est pas le seul endroit où il y a des problèmes. J’ai reçu des appels suite à cette affaire, par exemple celui d’une mère qui évoquait exactement le même type de problèmes dans l’institution où se trouve son enfant dans le Jura bernois. Pour moi, il y a une violence institutionnelle propre dans le fait de regrouper des personnes handicapées en institution. C’est un processus ségrégatif. On pourrait tout à fait utiliser les financements de ces institutions de manière différente.

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