La Suisse fait figure de mauvais élève en termes de mobilité douce et notamment en ce qui concerne le vélo. Conseillère aux Etats valaisanne du Centre et présidente de Cycla, l’Alliance suisse du vélo, Marianne Maret, se réjouit que les choses bougent enfin.
Le 1er janvier a marqué l’entrée en vigueur de la loi sur les voies cyclables en Suisse. Les communes, les cantons et la Confédération ont l’obligation de planifier et de réaliser, dans les 5 ans, des réseaux de voies cyclables.
Marianne Maret, vous présidez Cycla… Dans un pays où le vélo peine à se faire une place en termes de mobilité douce… Et c’est peu dire?…
Je nuancerais, ça dépend des parties du pays. Il y a certaines régions, en particulier dans des cantons alémaniques, où ça se passe bien. Et il y a quand même eu une avancée majeure, l’année passée, en ce qui concerne le pays, puisqu’on a voté une loi sur les voies cyclables qui est très prometteuse. Elle implique la mise en place d’un plan directeur dans les cinq ans. Et dans les dix ans qui suivent la validation des plans directeurs, la mise en œuvre doit intervenir. Cela signifie que dans quinze ans – et quinze ans c’est finalement tôt – idéalement, on devrait avoir un réseau de voies cyclables connectées sur l’ensemble du territoire suisse.
Il y a clairement un frein. Qui le tire?
Avant l’avènement du vélo électrique, trop de cantons, trop de régions se disaient chez nous ce n’est pas possible, ça ne sert à rien. Le frein est clairement lié au bâti existant et aux infrastructures routières existantes. Ça va être une gageure pour amener les réponses correctes, avec une route de quatre mètres de large et du bâti des deux côtés. En matière de mobilité, les peurs du changement ont été un frein, comme pour beaucoup de chose dans la vie.
Quels sont les principaux problèmes identifiés ?
D’une part, comme je viens de l’évoquer, le bâti et les voies de circulation existants qu’il faut reconsidérer, requestionner…
Puis il y a les connexions, dans certains cas on construit une voie cyclable sur quelques kilomètres qui s’arrête brusquement fautes de possibilités. Les interconnexions du réseau dans et entre les projets d’agglo sont un problème central.
Peut-on évoquer un manque de volonté politique. Notamment quand on tire un parallèle avec l’avance qu’ont des nations comme le Danemark ou les Pays-Bas?
C’est plus facile d’avoir la volonté politique sur un territoire plat où il y a encore de la place. Et surtout, les coûts sont moindres. Mais, à mon avis, il y a aussi un frein lié au fait qu’en Suisse, pour beaucoup, le vélo, c’est un sport. Cela a été considéré comme un moyen de déplacement très tardivement.
« Attention, cela touche aussi aux habitudes des gens, il va y avoir une levée de boucliers. »
La question financière est une entrave considérable?
Oui. Bien sûr, parce qu’il n’y a pas de financement fédéral pour ces projets. Ce sont les cantons et les communes qui devront payer. Et au vu de ce qui se passe avec la Banque nationale suisse, les cantons ne percevront rien en 2023. Ils vont devoir réduire leur budget.
Vous attendez quoi de la nouvelle loi entrée en vigueur?
J’attends enfin une planification. Mais en tant qu’ancienne présidente de commune j’ai conscience de la tâche. La carte de l’ensemble du territoire communal doit être analysée afin de questionner toute la mobilité. Cela veut dire par exemple supprimer une piste de dépassement quand elle existe. Attention, cela touche aussi aux habitudes des gens, il va y avoir une levée de boucliers. Donc ça expose les politiques. Ils devront déranger pour mettre en place ces plans directeurs.
Est-ce qu’il y a des axes à privilégier?
Il ne faut pas opposer les cyclistes au trafic motorisé. Je crois que la première chose pour atteindre les objectifs, c’est qu’il faut éviter les clivages.
« Mais il y a un tel retard qu’il faut rattraper. Ça paraît impossible. »
Le vélo peut apporter une contribution importante dans nos objectifs climatiques et à moindre coûts… Pourtant ça coince toujours… C’est une question de mentalité?
Oui, il y a une question de mentalité. Mais il y a surtout une question de réflexe : on ne pense pas au vélo comme moyen de déplacement.
Albert Rösti est le nouveau ministre chargé de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication… qu’espérez-vous de lui?
Qu’il s’engage face aux objectifs de développement. J’espère qu’il aura l’intelligence de ne pas freiner, mais il sait que le parlement est très majoritairement favorable à cette loi. Par conséquent, il se tirerait une balle dans le pied s’il n’allait pas en ce sens.
Vous êtes valaisanne… Or le Valais est l’un des plus mauvais élèves de Suisse en matière mobilité cycliste. Cela doit vous faire mal, non?
Oui, ça fait un peu mal. Mais en même temps, c’était un joli défi parce qu’il y a des choses à faire. Et il faut rendre à César ce qui est à César, le chef du service de la mobilité cantonale, est très favorable à la mise en œuvre de la loi fédérale le plus rapidement possible. C’est un visionnaire en termes de mobilité. Mais le problème, c’est le retard qu’on a pris. À mon avis, ce n’est pas la volonté d’agir maintenant qui est le principal problème, en tout cas pas au niveau de l’opérationnel du canton. Mais il y a un tel retard qu’il faut rattraper. Ça paraît impossible.
Des propos recueillis par Martine Vuistiner, journaliste chez Radio Chablais