Vingt ans que Fauna Valais milite pour une cohabitation durable entre l’homme et la faune sauvage. Tout a commencé avec le retour du loup sur le territoire cantonal, en 1998. La jeune association valaisanne de biologie de la faune souhaitait sensibiliser les dirigeants du canton à un phénomène naturel, afin qu’ils adaptent leurs discours. Aujourd’hui, l’animal défraie toujours régulièrement la chronique, avec ce constat fait par l’ONG valaisanne: “les attitudes et les décisions politiques ne sont toujours pas en accord avec les acquis scientifiques”. Raphaël Arlettaz, professeur et biologiste reconnu, est le premier président de Fauna VS. Loin de la langue de bois, il n’hésite pas à parler de comportement rétrograde et anachronique. Est-ce à dire qu’il n’y a eu aucun progrès en deux décennies de travail? Il répond.
Pouvez-vous nous rappeler le contexte de la création de Fauna Valais? Qu’est-ce qui nécessitait une action de la part des biologistes du canton à ce moment précis?
Raphaël Arlettaz: C’était en 1998, au moment du retour du loup sur le territoire valaisan. A l’époque, la rumeur courait que tous les loups, à commencer par ceux d’Entremont, avaient été lâchés dans la nature par des écolo-fanatiques. Il nous a fallu une quinzaine d’année pour que la population assimile le caractère naturel de ce retour.
«Quand un loup tue du gibier on parle de “dégât”, un terme anachronique qu’on entendra jamais dans le milieu de la chasse.»
Le caractère naturel du retour du loup est donc assimilé… mais à vous entendre ce n’est pas suffisant?
Non. Les discours utilisés par les dirigeants sont toujours imprégnés d’une attitude rétrograde. Je vous donne pour exemple le bilan publié il y a quelques semaines, concernant l’impact des grands prédateurs sur le gibier sauvage. Le document fait mention de “dégât” fait au gibier. Un terme qu’on ne retrouvera jamais dans le milieu de la chasse, où on parle de “prélèvement”. C’est un vocabulaire complètement anachronique.
Est-ce à dire qu’il n’y a pas eu d’évolution des moeurs, malgré vingt ans d’activités?
Si, on avance. Je me souviens qu’en 1997, un chasseur avait tiré un gypaète, prétendant qu’il l’avait confondu avec un aigle, une espèce tout autant protégée. Depuis ce temps, beaucoup de choses se sont améliorées, plus personne n’ignore ce qu’est un gypaète, par exemple. Je dirais que le problème, c’est que nos dirigeants étatiques restent en retrait par rapport à ces questions.
Comment se passent les relations entre Fauna Valais et les dirigeants?
Il y a une fin de non-recevoir de leur part. Ils n’aiment pas trop Fauna Valais. Nous sommes une ONG très objective, avec un comité composé de scientifiques formés et aguerris, ce qui n’est pas toujours le cas des personnes employées par les structures de l’Etat chargées de gérer ces questions de la faune. Nous avons la connaissance de notre côté et nous sollicitons ces personnes pour qu’ils fassent usage de cette connaissance. Quand on a le pouvoir de décider, on a aussi le devoir de s’informer. Malheureusement, certains font preuve d’une attitude moyenâgeuse qui déteint sur tout le canton.
«Le Valais possède une faune plus riche et plus diversifiée qu’ailleurs, il ne faut pas perdre cette carte-là.»
Une attitude moyenâgeuse, c’est un peu fort, vous avez un exemple?
Absolument! Regardons Jean-René Fournier, qui, lors de sa réception comme président du Conseil des Etats, ne trouve rien de mieux à faire que de poser avec le loup. Le loup qui lui a d’ailleurs valu une condamnation en justice, pour tir intempestif, lui fermant par la même occasion toute chance d’accès au Conseil fédéral. Ce genre de comportement cultive l’image rétrograde dont peut souffrir le Valais. Une image de Vieux-Pays.
Le Valais est-il donc mauvais élève sur l’échelle suisse, dans ses relations entre l’homme et la nature?
Le canton du Valais est le théâtre d’un paradoxe. Avec un territoire de plus en plus colonisé, il perd peu à peu une partie de ses valeurs naturelles et biodiversitaires. Ce qui lui vaut une mauvaise presse dans le reste de la Suisse, mais en même temps, le Valais possède une faune plus riche et plus diversifiée qu’ailleurs. Encore une fois, c’est aux dirigeants politiques de ne pas perdre cette carte-là et de bien la jouer.
A vous en croire les dirigeants restent sourds quoi qu’il advienne. Au lieu d’insister, pourquoi ne pas inverser la stratégie et sensibiliser la population en premier…les dirigeants seraient peut-être plus sensibles à la volonté populaire?C’est la grande question. Est-ce qu’un politicien est un visionnaire ou un suiveur des volontés populaires médianes? J’aurai tendance à dire qu’un bon politicien est capable d’apporter spontanément de nouveaux paradigmes, pour une meilleure harmonie. Dans l’autre scénario, avec des dirigeants qui se contentent de calquer leur avis sur celui du citoyen lambda, impossible d’avancer.
CFJM – Oriane BINGGELI