INTERVIEW – «Il faut de la grandeur pour oser démissionner»

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© Aline Écuyer

«Tous pourris»! Le mot est lâché. Et ce ne sont pas les scandales politiques, les mensonges, les suspensions et les démissions qui rythment les vies politiques vaudoise et genevoise depuis des mois qui démontrent le contraire. Une avalanche de révélations qui laissent derrière elle des citoyens sidérés par tant de secrets. Entre deux trains en gare de Berne, le politologue Georg Lutz, fait le point sur la situation et sur l’importance de la probité des représentants politiques.

Ces derniers mois, ce sont surtout des élus latins, M. Buttet, Mme Savary, M. Broulis, M. Maudet, qui ont eu des démêlés avec la justice. Est-ce une spécificité romande comme le pense Petra Gössi, la présidente du PLR Suisse?
C’est un avis que je ne partage pas. Il y a eu des cas en suisse allemande, regardez Elisabeth Kopp, Jonas Fricker, ou encore Peter Aliesch (ndlr: voir notre galerie). Donc non, pour moi ce n’est pas propre à la Suisse romande.

Comment explique-t-on une telle concentration d’affaires dans le temps?
Dernièrement, les politiciens ont perdu en popularité auprès du public. Il y a une perte de confiance et le besoin de transparence est devenu très important. Les liens entre les sphères politiques et les entreprises privées sont de moins en moins acceptés. Autrefois, les élites étaient beaucoup plus homogènes. Vous aviez des personnes qui avaient des positions clés à l’armée, en politique et dans l’économie, et on pensait que c’était une force. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas, on est beaucoup plus critique. Il y a une demande de transparence financière qui n’existait pas il y a 30 ou 40 ans.

Internet offre aussi un accès plus facile aux informations…
Il y a effectivement un intérêt immédiat et on s’intéresse plus aux détails de la vie des élus. Avec internet, on laisse également plus de traces, les éléments de preuves sont plus visibles et moins faciles à faire disparaître.

«Quand on pense à M. Buttet qui défend les valeurs familiales en ayant une maîtresse. C’est une hypocrisie.»

Ces affaires ont également été fortement médiatisées…
Pour les médias, ce sont des sujets intéressants parce qu’ils sont singuliers justement. Et aussi parce que dans des cas particuliers, il y a une certaine hypocrisie de la part des élus concernés. Quand on pense à M. Buttet et M. Darbellay qui défendent les valeurs familiales alors qu’ils ont une maîtresse ou M. Broulis qui parle d’impôts, mais qui fait des petits arrangements. Enfin, on voit que la population est de moins en moins prête à accepter que la vie privée soit déconnectée du personnage public, car elle est accessible sur internet.

Y a-t-il une tendance à manquer d’intégrité chez les élus?
Non, on ne peut pas dire que c’est une tendance, ce n’est pas un phénomène nouveau. Une grande partie de nos représentants politiques sont très corrects, ils sont conscients de l’importance de leur mission et ils font très attention à agir dans l’intérêt du public avant de penser à leurs objectifs individuels.

La probité des élus a-t-elle gagné en importance?
Ça a toujours été un élément important. C’est très difficile pour les électeurs de juger si une personne est vraiment compétente, performante ou si on peut lui faire confiance pour accomplir son mandat proprement, dans l’intérêt des électeurs et de la société. Ce sont des questions importantes qui reposent sur la probité des élus.

«Sans la confiance de ses pairs et des citoyens, un élu ne peut pas gouverner»

Et comment peut-on la garantir?
On peut faire des vérifications, mais on ne peut pas la garantir à 100%.

Quand on est pris la main dans le sac, vaut-il mieux démissionner ou continuer ?C’est une question morale. Il faut investir énormément de temps et d’argent pour entretenir son réseau et réussir en politique. C’est pas si facile d’accepter de tout perdre. Il faut avoir une certaine grandeur pour dire «Ok, c’est bon j’arrête, je vais faire autre chose». Il y a aujourd’hui peu de mécanismes pour suspendre une personne élue durant la durée de son mandat. C’est donc à elle que revient cette responsabilité. Une démission immédiate montre qu’on assume la faute. Dans certains cas, cela a suffi pour permettre une réélection par la suite. Dans le cas de M. Maudet, je ne sais pas très bien comment il va pouvoir s’en sortir et se relever.

Faut-il pouvoir destituer des élus qui manquent de probité?
Je n’y suis pas favorable. Encore une fois, ce sont des cas isolés. On ne devrait pas mettre en place des nouvelles lois ou des nouvelles régulations autour d’une seule personne. Admettons qu’on les mette en place: les procédures seraient sûrement très longues et on arriverait à la fin du mandat quand même. Et on constate que dans les cas de Genève et Vaud, les institutions continuent de fonctionner. Cela signifie qu’on peut gérer ces situations.

Il suffit de s’excuser pour que tout soit pardonné?
Ce qui détruit l’image, ce n’est pas nécessairement d’avoir fait une erreur. C’est la façon dont on la gère auprès du public. Les gens sont capables de comprendre qu’on puisse se tromper, cela arrive à tout le monde, on a tous des faiblesses. L’honnêteté c’est aussi admettre qu’on a raté quelque chose et tout mettre sur la table. C’est une preuve de transparence qui est de plus en plus appréciée. Les politiciens sont conscients que leur image publique est importante. La confiance du peuple, mais aussi de ses pairs est un élément crucial pour avancer. On n’est jamais seul à gouverner.

CFJM – Aline ÉCUYER