Franziska Lüthy: « Toutes les personnes en situation de handicap doivent pouvoir voter si elles le veulent »

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HANDICAP – Le 29 novembre, les Genevois devront voter sur une nouvelle Constitution qui se veut plus en adéquation avec la Convention de l’ONU relative aux personnes handicapées. Franziska Lüthy, avocate au Service juridique de Procap explique en quoi cette modification est une amélioration pour les droits politiques des personnes en situation de handicap.

Franziska Lüthy sait depuis toute petite qu’elle veut se battre contre les injustices. Image: Procap

En quelques mots, quel est l’objet de cette votation ?

L’objectif, c’est que toutes les personnes en situation de handicap puissent voter si elles le veulent. Parce qu’actuellement, la loi autorise de priver les gens qui sont sous curatelle de portée générale du droit de vote. L’idée c’est d’enlever cette possibilité. Parce que, déjà, ça coule de source si on veut l’inclusion des personnes en situation de handicap mais c’est aussi pour respecter la Convention de l’ONU relative aux personnes handicapées (CDPH) qui prévoit ces droits-là.

>Pour retrouver les informations officielles sur la votation populaire du 29 novembre 2020

Que pourrait changer cette nouvelle Constitution ?

Au niveau des personnes en situation de handicap, ça change qu’elles seront mieux reconnues. Et que ceux et celles qui le veulent, pourront voter. Après, au niveau politique, je pense que ça ne changera pas grand-chose parce ça ne concerne qu’à peu près 1000 personnes dans le canton. Même si les 1000 votaient, ce qui ne sera certainement pas le cas, ça ne changera rien, en règle générale, au niveau des résultats.

« C’est une question de principe et c’est une question de reconnaissance des personnes en situation de handicap. »

En quoi cela diffère de ce qui se fait en Suisse ou dans d’autres cantons ?

Pour l’instant, au niveau suisse, la loi prévoit que les personnes sous curatelle de portée générale n’aient pas le droit de vote ni d’éligibilité et après, chaque canton peut gérer à sa manière. Et le canton de Genève, jusqu’à maintenant, il était déjà un petit peu plus progressiste que les autres cantons parce qu’il n’interdit pas d’office mais il dit que le juge peut suspendre ces droits politiques. Alors que, dans la plupart des cantons, c’est comme au niveau fédéral, c’est d’office, si on a une curatelle de portée générale, on n’a pas le droit de voter. Donc la nouvelle version de la Constitution genevoise serait presque révolutionnaire…

De qui exactement parle-t-on quand on parle de « personnes durablement incapables de discernement » ?

Ça concerne surtout des gens qui ont un handicap mental, les personnes avec un handicap psychique mais aussi des personnes avec une dépendance. Par exemple, quelqu’un qui est alcoolique ou toxico-dépendant. Ou des personnes âgées qui perdent leurs facultés mentales, que ce soit à cause d’Alzheimer ou d’une sénilité liée à l’âge. À l’époque, on mettait très facilement, très rapidement, les gens sous curatelle de portée générale, puis avec le nouveau droit de la protection de l’adulte en 2013, on est censé prendre des mesures un peu plus subtiles. Et plutôt travailler avec d’autres formes de curatelles qui ne privent, elles, pas forcément les gens du droit de vote.

Et puis on part de l’idée que quelqu’un qui a une curatelle de portée générale, elle est incapable de discernement de manière durable, ce qui n’est pas forcément toujours le cas.

Est-ce que l’objet a fait débat ? Quels étaient les arguments en sa défaveur ?

Une certaine minorité de politiciens était contre. L’argument était qu’il pourrait y avoir des abus parce que ce sont des gens influençables. Un argument qui n’est pas pertinent à mon avis. Bien évidemment, tout le monde peut être influencé, que ça soit par la pub, les affiches, n’importe quoi… donc il n’y a pas de raisons que là, il y ait plus de risques qu’ailleurs.

Est-ce une modification symbolique ou véritablement significative ?

Pour moi, et surtout pour les personnes concernées, c’est plus que symbolique. Une jeune femme parlait dans Le Temps récemment du retrait de son droit de vote. Il y avait eu un changement au niveau de sa curatelle et elle n’avait plus le droit de voter. Et, pour elle, c’était vraiment incompréhensible et dramatique. Et ce n’est pas la seule. Il y a un côté arbitraire à ces décisions.

Ces décisions de curatelles ne se font pas de manière très approfondie, c’est souvent très bref. Donc le juge prend une décision qui est quand même assez importante pour la personne sans avoir vraiment les éléments à disposition pour savoir si c’est vraiment la bonne décision. À ma connaissance, la question des droits politiques n’est jamais posée.

Votre position et celle de Procap ?

Autant moi que Procap, on trouve que c’est très important que ce sujet soit sur la table et puis on espère bien évidemment que ça passe. Ça devrait aussi être un sujet au niveau fédéral parce que c’est indispensable.

« Il n’y aucune raison de priver ces personnes d’un droit que tout autre citoyen suisse, ou plutôt, genevois a. »

Est-ce suffisant pour donner une voix politique aux personnes en situation de handicap ?

Non, ce n’est pas suffisant, parce que pour qu’elles puissent l’exercer, il faudrait aussi qu’elles aient des informations accessibles. Et ça ne concerne pas que les personnes en situation de handicap. Les informations telles qu’elles sont données actuellement, il y a une énorme partie de la population qui ne les comprend pas.

De rendre ces informations accessibles et faciles à comprendre, ça servira à tout le monde. Je pense que c’est indispensable pour le droit de vote puisse être exercé par tous les citoyens de manière éclairée.

>>Lire aussi:  Ouverture du droit de vote à toutes les personnes en tutelle pour en savoir plus sur cette question dans le reste de l’Europe.


En dates

1969
Naissance en Argovie
1991 – 1995
Études en droit à l’Université de Neuchâtel.
1995 – 1997
Brevet d’avocat à Berne.
1997 – environ 2005
Emploi dans une étude où elle se rend compte qu’elle ne veut pas travailler sur des contraventions ou des divorces mais qu’elle veut lutter contre les injustices.
2005 – aujourd’hui
Avocate responsable du Service juridique de Procap, la plus grande association d’entraide et de membres pour les personnes avec handicap en Suisse.


Gaëlle BISSON – CFJM

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