Pas toujours facile de tourner la page après plusieurs années passées à Berne. Au lendemain des élections, de nombreux politiciens sont concernés par le départ. Le centriste Fribourgeois Dominique De Buman a passé 16 ans au Conseil national. Son après-carrière n’est pas moins rythmée.
Christian Lüscher, Ada Marra ou Denis de la Reussille ; tous quittent le Conseil national pour différentes raisons. Le Fribourgeois Dominique de Buman s’est retiré en 2019. Retiré de la politique, oui, mais pas de la vie active. Essentiel selon-lui pour bien gérer « l’après Berne ». Interview.
Maintenant que vous n’êtes plus à Berne, quelle analyse faites-vous des élections du 22 octobre ?
Pour moi c’est assez clair qu’il y a eu un effet « peur de l’immigration, de différentes menaces qui pèsent sur l’actualité : la guerre, la crise énergétique, l’insécurité du monde du travail ». L’UDC ne s’est pas privée d’utiliser l’immigration. Je suis tolérant en politique mais leurs dernières campagnes ont été épouvantables et je pèse mes mots. Et malheureusement, jouer sur la corde sensible des gens semble fonctionner.
Après il existe peut-être une autre raison : il y a aujourd’hui une exagération autour du genre. Il y avait des efforts à faire en matière de tolérance, de comportements humains, de lutte contre les tabous, car il ne faut mettre personne de côté. Mais de là à en faire une obsession quotidienne notamment dans quelques médias, certaines personnes en ont eu marre et l’UDC a eu leurs voix car ils osent dire que c’est énervant.
Quand vous vous remémorez votre travail à Berne, quel premier souvenir revient ?
La passion des débats ! Il faut avoir un pif politique : il faut voir les problèmes. Moi ce qui me frappait, c’est cette possibilité de faire un préavis en commission, ce qui passe par la maitrise du dossier et ensuite rallier du monde : les collègues de délégation puis les autres. Ça veut dire des contacts personnels. Ça se fait à la pause ça : « j’ai déposé un amendement, appuie-moi ». Ce travail humain, cette patte humaine ; c’est ce que j’aimais. C’est vrai qu’il faut un peu vaincre, pas forcément une timidité, mais un sentiment proche. Il faut avoir de l’audace mais en même temps ne pas casser les pieds. Cette alchimie humaine n’existe dans aucun bouquin.
Qu’est-ce que ça vous a fait de quitter Berne le jour J ?
Un petit pincement au cœur forcément, j’ai pu réaliser certains buts, certaines révisions : la loi sur le prix du livre, la cause des arméniens, les sacs plastiques abolis…Donc forcément que ça m’a fait un petit quelque chose.
« Même si formellement j’ai l’âge de la retraite, moralement, mentalement, je ne suis pas du tout à la retraite. »
Vous avez actuellement pas moins de 10 engagements professionnels, une simple retraite c’était impensable ?
Je savais que j’allais quitter Berne fin 2019 car on a cette règle de la limitation des mandats dans notre parti. A peu près trois ans avant je me suis dit : « Je ne veux pas m’arrêter, j’ai l’énergie, j’aime les gens et ce que je fais, donc il faut t’organiser pour continuer sur cette lancée. » Ça a été tout un travail et je suis très content. Il y a eu certaines choses que je souhaitais que je n’ai pas eues, et au contraire il y a eu des surprises. Et comme je suis plutôt quelqu’un de positif, je me suis rendu compte que ce que je n’avais pas eu, c’était une chance de ne pas l’avoir eu et inversement. Donc je ne m’ennuie pas. Cela me maintient dans la vie économique et la vie de tous les jours. Même si formellement j’ai l’âge de la retraite, moralement, mentalement, je ne suis pas du tout à la retraite.
C’est ça la clé pour ne pas déprimer ?
Pour moi, oui, je suis quelqu’un qui aime le contact et qui est en bonne santé. Je voulais absolument continuer et être utile aux autres. Ça me convenait, mais je suis aussi conscient que s’il y a 10 milliards de personnes, il y a 10 milliards de manières de faire différentes.
« Il faut être schizophrène dans le bon sens du terme : rester passionné, curieux de tout mais rester humble. »
Est-ce qu’être politicien un jour, c’est être politicien à vie ?
Je pense que oui ! J’arrive totalement à me défaire car je n’ai pas de nostalgie, d’amertume, de regret : rien. Je pense même que je n’ai jamais été autant heureux que maintenant. Mais il faut être schizophrène dans le bon sens du terme : il faut un lob qui reste passionné, curieux de tout et un lob d’humilité, de retenue. Quand vous avez été dans un exécutif, vous avez pris l’habitude de faire passer vos arguments, guider. Il y a un côté alpha. Le danger quand vous n’y êtes plus, c’est de vouloir rester dans ce côté alpha et de vous mêler de tout et vouloir donner des appréciations aux décisions de vos successeurs. Vous n’êtes pas dans la salle du Conseil donc il vous manque des éléments, et donc « Tais-toi ! ». Il faut avoir le respect et l’honnêteté de ne pas jouer à celui qui sait tout.
Est-ce que l’état de la société vous donnerait envie de revenir en tant qu’« homme de la situation » ?
Vous avez touché le cœur de ce qu’un personnage dans mon cas peut penser ou ne pas penser. D’un côté non, j’ai fait mon temps, et il faut avoir cette sagesse dont je parlais. Et puis d’un autre côté, quelque part oui, car depuis l’âge de 8 ans environ, j’ai une démangeaison politique. Mais il y avait une certaine sagesse dans ma famille notamment chez mon papa qui me disait de ne pas aller me salir là-dedans. J’étais prêt à obéir mais il y a une sorte d’alignement de planètes qui ont fait que je me suis engagé. Par-exemple, j’ai été mis sur une liste pour le conseil général, un candidat s’étant désisté le dernier jour des listes. J’avais promis de remplir les trous si besoin au PDC. Du moment que j’avais franchi le Rubicon, c’était parti. La politique reste une passion dont je ne peux pas me défaire. La plupart du temps dans tous mes dossiers, il y a un engagement politique. « Je n’ai ni ambition ni fatigue. »
Enfin, qu’est-ce qu’il vous manque de votre période bernoise ?
Pouvoir avoir un rôle actif sur le débat de société. C’est passionnant et difficile. Il y a pleins de débats de société et il y a des paradoxes à Berne. Il y a une perte de repère. Les gens ont tendance à être dur ou à répéter bêtement. Il manque peut-être un peu de leader. Je me retiens toujours de le dire car je ne veux pas avoir l’air d’être celui qui n’y est plus et qui se permet de juger. L’époque ne pousse pas à s’exposer car on est surexposé, donc on tue peut-être un peu des gens compétents. J’ai adoré ce que j’ai fait pendant ces 16 ans. Quand je retourne à Berne, je n’ai pas de regret de tristesse, au contraire ; je suis à la maison.
Hugo Savary