Le 25e anniversaire de la Journée internationale contre les violences sexistes et sexuelles approche. Dans ce contexte, nous avons échangé avec Dilara Bayrak, 24 ans, avocate et députée verte au Grand Conseil genevois, engagée avec l’AVVEC : l’Aide aux Victimes de Violences En Couple. Cette association genevoise a pour mission d’apporter une aide psychosociale et thérapeutique aux victimes de violences conjugales et de sensibiliser la population.

« Je préfère sortir avec un ours ». Ce commentaire, devenu de plus en plus courant sous les publications traitant des violences faites aux femmes sur les réseaux sociaux, reflète une indignation croissante. En 2024, vingt-cinq femmes ont été tuées par leur (ex-)conjoint en Suisse, et dans le canton de Genève, les signalements de violences ont même augmenté de 11 %.

À Genève, en 2024, le nombre de cas de violence signalée a augmenté. Selon vous, les victimes dénoncent-elles plus ou y’a-t-il plus de violences qu’avant ?

Je ne pense pas qu’il y ait plus de violence qu’avant. Je pense que c’était juste plus sinueux et que les gens se rendent plus compte qu’ils subissent de la violence. Et ça, c’est un travail de longue haleine du canton pour essayer de sensibiliser à la question des violences. Les mouvements comme Me Too ont également certainement aidé.

« Il faudrait former un peu mieux les policiers à ces questions de violence envers les femmes »

 

Lundi prochain, le canton et la ville de Genève organisent une conférence de presse intitulée « Violences sexistes et sexuelles, finissons-en ! ». Pensez-vous qu’il en ressortira de nouvelles idées ? Quels sont vos espoirs en matière de lutte contre les violences en couple en Suisse ?

C’est le genre d’événement qu’il faut mettre en avant.

Il faudrait aussi former un peu mieux les policiers à ces questions de violence envers les femmes : savoir comment il faut se comporter, comment il faut gérer la situation.

Ce qu’on pourrait faire aussi, c’est rallonger la période des 10 jours de l’éloignement administratif.

Pouvez-vous expliquer ce que sont ces 10 jours ?

Actuellement, la police peut prononcer un éloignement de l’auteur de la maison, il me semble que c’est pendant 10 jours. Ensuite, les avocats sont censés déposer des mesures prévisionnelles.

On devrait donc permettre à la police de prononcer cet éloignement pendant plus longtemps, car pendant 10 jours, en tant que victime, on n’a pas forcément la tête à ça.

Depuis 2021, vous êtes membre de l’association AVVEC, qu’est-ce qui vous a poussée à vous engager dans cette lutte contre les violences en couple ?

La condition féminine est un sujet qui m’intéresse depuis toujours. Au collège, j’avais fait mon travail de maturité sur la vie des femmes immigrées à Genève.  Et puis avec le temps, l’intérêt s’est développé. Et quand on pense à la défense de la veuve et de l’orphelin, on pense aussi beaucoup aux femmes battues. Je suis entrée au comité, sans forcément savoir ce qu’était cette association. C’est au fur et à mesure du temps que j’ai appris, et j’ai gagné un grand respect pour les gens qui font vivre cette association.

Quel est votre rôle concrètement dans cette association ?

Je suis au comité donc je gère plutôt l’organisation, on n’est pas au contact des gens qui viennent chercher de l’aide.

Donc vous n’avez jamais rencontré de victimes ou d’agresseurs ?

Pas dans le cadre du comité de l’association, mais dans le cadre de mon travail, oui.

Justement, en tant qu’avocate, quelles difficultés juridiques les victimes de violences peuvent-elles rencontrer ?

Dans mon cabinet Odier Halpérin Steinmann, nous traitons dans mon département la défense des victimes, et nous faisons justement beaucoup d’assistance judiciaire. Bien souvent, les gens n’ont pas les moyens pour se défendre et elles cherchent un accompagnement en justice.

« Il y a encore des efforts à faire pour le harcèlement psychologique et la violence économique. »

Et à plus grande échelle, est-ce que vous constatez des lacunes en termes de législation suisse dans le cadre des violences de couple? Dans quel domaine pourrait-on s’améliorer ?

Si c’est de l’ordre de la violence physique, « un coup de poing », c’est déjà appréhendé par le droit suisse. Mais pour les violences sexuelles, on constate, certes une grande avancée avec la réforme du droit pénal sexuel, mais il reste encore du chemin.

Il y a aussi encore des efforts à faire pour le harcèlement psychologique et la violence économique.

Par exemple, la violence économique est déjà très difficile à dénoncer. Les victimes ont plus de mal à le faire, la seule chose qu’elles veulent, c’est de se sortir de cette situation et puis d’oublier. Parce que si on dénonce, après il faut subir la procédure pénale et elle peut être difficile à vivre pour les victimes.


Est-ce que faire de la prévention et de la sensibilisation dès le plus jeune âge, dans les écoles par exemple, pourrait selon vous, améliorer le problème ?

La prévention, c’est toujours le moyen le plus bénéfique. Il vaut mieux prévenir que guérir. Faire de la prévention auprès des enfants est une bonne idée car ils peuvent subir la violence du couple de parent. D’ailleurs, à l’association AVVEC, nous faisons des prises en charge parents-enfants. Mais la prévention, elle se fait surtout auprès des auteurs à mon avis. Sauf qu’en tant qu’association, on a clairement pas les moyens.

Là, je parle sous ma casquette de députée. Il y a énormément d’attente. Souvent on dit aux auteurs de violence, qui sont souvent des hommes, d’aller se faire prendre en charge, et il y a une liste d’attente de plusieurs mois, ça c’est pas compréhensible.

Dans une interview en juin dernier,  Emilie Flamand, directrice du bureau de l’égalité et de la prévention des violences, a omis l’idée de mettre en place des accompagnements pour les agresseurs,  pensez-vous que cela est réalisable ?

C’est crucial. Et si on arrive à identifier les personnes violentes, il faut qu’elles soient prises en charge et qu’elles puissent se réinsérer et corriger les comportements déviants qu’elles ont pu montrer par le passé. Parce qu’on n’est jamais à l’abri d’une récidive.


Nous apprenions en octobre dernier qu’un budget devrait être alloué en 2025 pour mettre en service une ligne d’urgence 24/24 en Suisse afin d’aider les victimes, qu’en pensez-vous ?

Mais ça ne marche pas, les gens n’appellent pas. Des foyers d’urgence, on peut en ouvrir tant qu’on veut, pour moi ça ne réglera pas le problème.

En fait, le problème, c’est qu’on agit toujours au niveau de la victime, c’est vraiment un truc culturel. En Suisse romande, on n’agit pas sur les causes, que ce soit des violences en couple ou la perpétuation d’infractions.  On est nuls sur la prévention de la récidive.

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