LGBT – Depuis un peu moins d’une année, Muriel Waeger est la première directrice commune aux deux faîtières gay et lesbienne de Suisse. Rencontre avec une pragmatique empathique, qui sait faire dialoguer les pôles opposés.
Berne, un matin d’octobre froid et maussade. Quand l’auteure de ces lignes s’arrête devant le numéro 73 de la Monbijoustrasse, une jeune femme gravit deux par deux les marches du perron, écouteurs sur les oreilles. Un petit regard par dessus l’épaule pour s’assurer que la porte de l’immeuble ne se referme pas sur la personne qui la suit, et déjà elle avale au pas de charge les trois étages qui la séparent encore du QG de Pink Cross. Arrivée quelques secondes plus tard, c’est un grand éclat de rire qui m’accueille dans ces locaux : « Ah, c’était vous! Bon, vous voulez un café? »
Le ton est donné. Elle a de l’énergie à revendre, Muriel Waeger, et il en faut pour mener de front tous les combats qu’elle a fait siens. Nommée en décembre à la tête des faîtières des gays et des lesbiennes, elle a pour tâche de les coordonner dans les grandes échéances politiques à venir : le mariage pour tous, la pénalisation des discriminations liées à l’orientation sexuelle et la PMA pour toutes.
Prendre en compte la réalité pour protéger les plus vulnérables
Juste le temps de se faire un thé (qu’elle boira froid), et c’est encore essoufflée de sa course dans les escaliers qu’elle m’explique ses revendications pour la PMA, un cheval de bataille qui lui tient très à coeur : « Il faut comprendre que si deux femmes veulent un enfant, elles vont l’avoir. Par des méthodes qui peuvent avoir des conséquences pour leur santé. Ce n’est pas une simple question de savoir si les homosexuels ont le droit ou non d’avoir des enfants : ces enfants existent déjà en Suisse. La question c’est de savoir comment ils vont les faire. »
« C’est important pour moi de discuter avec tout le monde. Le grand problème, c’est le manque de connaissance. »
D’où l’importance que les couples de même sexe ne se retrouvent pas avec un mariage au rabais : « Il faut que le mariage pour tous comprenne la PMA et la filiation automatique, pour protéger les parents et les enfants! Aujourd’hui, cela peut prendre jusqu’à trois ans pour que l’enfant d’un couple homosexuel ait officiellement deux parents. Si le parent biologique décède pendant ce temps, il sera mis à l’adoption! »
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L’idée est donc avant tout de prendre en compte une réalité existante et de protéger une population particulièrement vulnérable. Pour cette raison, elle analyse avec pragmatisme la modification du code pénal sur laquelle votera le peuple en février. « Si ça passe, la victoire ne serait pas encore… Les transsexuels et intersexes ne seraient pas protégés, par exemple. Mais il est vrai que ce serait un signal fort de la part de l’Etat, qui indiquerait que l’homophobie n’est plus tolérée. » A Pink Cross, on reçoit deux appels par semaine en moyenne pour signaler les violences physiques. Les violences verbales, en revanche, passent sous le radar. Les victimes ne songent même pas à les dénoncer.
L’ignorance, le seul ennemi à abattre
La parole est claire, les mots précis, et derrière un sourire affable, le regard reste perçant. Muriel Waeger maîtrise ses dossiers et l’art d’en parler. Mais à 25 ans, l’yverdonnoise n’est pas une novice de l’arène politique. Elle s’engage à l’âge de 16 ans dans les jeunes socialistes suisses, dont elle a été la vice-présidente. Elle devient aussi la co-secrétaire romande du GSsA en 2017. La politique lui apprend à structurer ses idées, à se confronter au monde. Et lui permet de se constituer un réseau.
« La seule chose qui me fait vraiment peur, ce sont les gens tellement obstinés dans leurs idées qu’ils ne raisonnent plus. »
Dans ses fonctions actuelles, ce sont des atouts qu’elle met à profit tous les jours comme lobbyiste au parlement. Et elle ne craint pas de se confronter à l’autre côté de l’hémicycle : « C’est important pour moi de discuter avec tout le monde. Il y a un certain bon sens parmi les parlementaires, et on peut dialoguer avec les élus de tous les partis. Le grand problème, c’est le manque de connaissance. Je dois pardonner aux politiciens de ne pas tout savoir, le sujet est tout récent! » Et d’ajouter, l’air espiègle : « Ça peut aider d’être une femme. Quand on est peu considéré, les gens ne se renseignent pas sur vous au préalable. Ça permet de faire passer ses idées. »
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Mais est-ce possible de porter des sujets aussi émotionnels sans essuyer de remarques parfois humiliantes? Muriel Waeger marque une pause avant de répondre avec un haussement d’épaules : « Les propos frustrants peuvent arriver. Et entendre des mensonges, c’est déprimant. Mais la seule chose qui me fait vraiment peur, ce sont les gens qui sont tellement obstinés dans leurs idées qu’il n’y a plus de raisonnement possible. Or, on devrait toujours pouvoir dialoguer. »
Les lesbiennes, des invisibles à faire connaître
Parmi les faits d’armes marquants de Muriel Waeger à la tête de LOS suisse romande, on peut citer la Marche pour la visibilité des lesbiennes. Organisée le 27 avril à Lausanne, elle a réuni les participants autour des problématiques méconnues de cette population, notamment la santé sexuelle. Car bien que Muriel Waeger co-dirige les deux faîtières, elle n’oublie pas que combat des lesbiennes est spécifique au sein du monde LGBT : « Historiquement, les causes sont différentes. Quand les hommes gays luttaient pour vivre leur homosexualité, les lesbiennes devaient aussi revendiquer leurs droits en tant que femme. Elles font face à une double discrimination. »
La jeune directrice plaide pour des statistiques spécifiques à la santé des lesbiennes et une sensibilisation des médecins à cette problématique : « En tant que lesbienne, il arrive qu’on soit jugée quand on parle d’un désir d’enfant à son gynécologue, par exemple. Et beaucoup ne sont même pas conscients du risque de maladies sexuellement transmissibles entre deux femmes. »