LONGREAD – Virées après l’accouchement, l’épidémie?

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En Suisse, les licenciements liés à la grossesse augmentent. Pourtant, le monde politique veut remettre les femmes sur le marché de l’emploi et un relancer le taux de natalité en berne. 
« J’ai appelé les ressources humaines pour préparer mon retour alors que j’étais encore en congé maternité. J’ai proposé différentes options d’aménagement de mon temps de travail, quitte à devoir prendre ce temps sur mes vacances. La personne des ressources humaines m’a alors répondu qu’il restait aussi l’alternative de la résiliation du contrat de travail ». Raconte Cécile*, 38 ans, cadre supérieur dans une banque genevoise et pourtant promise à une belle promotion.
Cécile* a fait cette amère expérience l’année dernière, elle ne portera pas plainte par peur d’être « grillée » sur le marché du travail. Elle préférera négocier une indemnité de licenciement avec son employeur. Comme Cécile*, la plupart des femmes ne déposent pas de plainte car les compensations sont moindres, elles préfèrent souvent faire appel à de l’aide et des conseils extérieurs. Françoise Piron, ingénieure en génie civil et présidente de la fondation Pacte aide les femmes se retrouvant dans ce type de situations. Elle comprend, d’ailleurs, la situation de ces mères pour l’avoir vécue elle-même.
🔊 Ces licenciements ne sont pas des cas isolés selon Françoise Piron, présidente de l’association Pacte

Des situations semblables à celles de Cécile* existent encore et ne sont pas uniquement des cas isolés. Pourtant, l’ampleur du phénomène est difficilement quantifiable. Il n’existe à ce jour aucune base de données répertoriant la totalité des cas de licenciements après un congé maternité en Suisse. Le site www.gleichstellungsgesetzt.ch, base de données juridique, répertorie pour la Suisse alémanique, 760 cas de discriminations liés au genre depuis 2004, du harcèlement au licenciement abusif. Dans ces dossiers, environs 150 situations sont référencées comme étant liées à la grossesse ou au congé maternité.

Les bureaux de l’égalité interrogés ne sont d’ailleurs pas unanimes sur la question. Celui de Fribourg reçoit plusieurs téléphones et courriels par mois de mères en plein litige professionnel. Même son de cloche au niveau du Bureau de l’égalité à Zürich et à Berne. Du côté de Neuchâtel par contre, « aucun cas n’a été porté à notre connaissance. S’il devait y en avoir, ils ont peut-être été annoncés aux syndicats », rapporte Nicole Baur, cheffe de l’office de la politique familiale et de l’égalité. Quant à Genève, le Bureau de l’égalité a tenté de quantifier le phénomène en 2012, mais « les résultats n’avaient pas été à la hauteur de ce que l’on espérait du fait de la méthodologie utilisée », explique Anne Saturno, cheffe de projet dans ce même bureau.
Un constat que ne partage pas Audrey Schmid du syndicat Unia. Elle estime la proportion de ce type de licenciements à un cas tous les deux mois. Pour sa part, elle a suivi trois procédures entre 2016 et 2017. « L’augmentation est difficile à quantifier. Elle fluctue dans le temps, mais le phénomène reste constant ». Ces licenciements sont justifiés par des motifs liés à une restructuration interne ou pour des raisons économiques. Des causes de mécontentement sont aussi mises en avant. L’employée ne donnait déjà plus satisfaction avant son congé, ce qui aurait poussé à son licenciement. Des prétextes que la syndicaliste comprend surtout comme étant motivés par l’annonce de la grossesse et la nouvelle situation familiale de ces femmes.
🔊 Un constat que partage Carine Carvalho, spécialiste des questions de genre et d’égalité au Bureau de l’égalité de l’Unil

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©UNIL.

La Fédération des entreprises romandes (FER) reconnaît avoir eu à traiter des cas de licenciements après un congé maternité, mais ne donne pas plus de détails. « En droit suisse, chacune des parties à la liberté de mettre fin au contrat de travail, y compris au retour d’un congé maternité d’une employée » tient à souligner Olivia Guyot Unger, juriste pour le Service d’assistance juridique de la FER. Elle estime d’ailleurs que les femmes sont suffisamment protégées contre ce type de licenciements.
Une position que ne partage pas Rebecca Ruiz, conseillère nationale (PS/VD). Elle dépose en 2016 une interpellation au Parlement proposant de sanctionner plus durement les employeurs qui se comportent de la sorte. Pour le moment, une résiliation de contrat motivée par la maternité reste discriminatoire et donc illégale. Bien qu’illégal, le licenciement reste tout de même valable et les indemnités sont généralement plafonnées à six mois de salaire. Suite à l’interpellation de Rebecca Ruiz, le Conseil fédéral a proposé de porter cette indemnité à douze mois afin d’être plus dissuasive. Mais le projet, fortement contesté, est pour le moment en suspens.
Rebecca Ruiz évoque aussi l’instauration d’un congé parental pour endiguer le phénomène. Audrey Schmid abonde dans ce sens, l’instauration d’un congé paternité inciterait les employeurs à se comporter de la même manière avec tous les salariés, « le congé aurait la même incidence au travail sur chaque employé ». Par contre elle note que les sanctions ne sont pas toujours dissuasives, « congédier une femme reste encore trop facile ». Un employeur avec des moyens préférera des pénalités pécuniaires plutôt que de remettre en question son mode de fonctionnement.

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© Un coin de bonheur

Les working mums souffrent d'une double discrimination, celui du plafond de verre et celui du plafond de mère.

« Ces licenciements sont le symptôme d’un problème bien plus profond lié à la conciliation entre vie professionnelle et familiale», ajoute Audrey Schmid. « Ils poussent les femmes dans des situations de précarité », selon Pascale de Senarclens, consultante en transition professionnelle à Genève. Elle constate aussi que la conciliation entre vie familiale et professionnelle repose encore trop souvent sur les épaules des femmes. Car, même si la majorité des femmes continuent à exercer une activité professionnelle, une réduction du temps de travail les pénalise dans l’accès aux postes décisionnels.
« Ce n’est qu’avec un réel changement de mentalités que la situation évoluera », avance Audrey Schmid, syndicaliste à l’Unia. Une opinion partagée par Françoise Piron, « les licenciements de ce type sont maintenant pratiqués de manière plus subtile. » Lorsque l’employée demande un aménagement de son temps de travail pour concilier vie professionnelle et familiale, celui-ci ne lui est pas accordé. On ne lui laisse que le choix de démissionner ou d’accepter une résiliation du contrat de travail. Il est ensuite très compliqué de prouver que le licenciement est lié à une grossesse.

Un licenciement plutôt que l’étiquette de mère indigne

Les stéréotypes ont la peau dure. « Cette image de la femme inutile à la société parce qu’elle a eu des enfants est encore très présente » renchérit Françoise Piron. En forçant le trait, « permettre » à une maman de retourner à la maison, auprès de sa progéniture, c’est lui rendre service. Elle relève même que « certains patrons n’imaginent absolument pas qu’une femme puisse avoir de l’ambition après une grossesse ». Cette injonction morale à quitter le monde du travail pour « bien » s’occuper de ses enfants reste tenace.
🎞 Julia* est trentenaire et maman solo, les « bons conseils » sur la manière de procéder en matière d’éducation sont légion

Et les clichés restent tenaces, « une maman qui préfèrera abandonner son emploi pour se consacrer à sa vie familiale sera taxée de mauvaise mère si elle n’est pas capable de subvenir aux besoins de ses enfants. On nous demande de faire un choix alors que cela n’en est pas un », explique encore Julia*. Un choix plutôt perçu comme une pression, à la fois de l’entourage, du monde professionnel mais aussi des réseaux sociaux qui vantent souvent la mère parfaite. Françoise Piron, présidente de la fondation Pacte explique qu’« il faut un cumul de pressions, c’est tout un ensemble de ressentis. Je reçois beaucoup de témoignages qui dépeignent ce type de situations. Et surtout de femmes qui perdent leur travail à ce moment-là. » Cette pression sociale continuelle pousse les mères à désinvestir la sphère professionnelle, certaines en viennent même à préférer carrément le licenciement.
🎞 Audrey Schmid, du syndicat Unia, avance que la protection contre ces licenciements n’est pas suffisante

Mieux vaut avoir le sexe de l’emploi

Avoir un enfant reste encore une tare, un boulet qui freine la carrière et complique la gestion des horaires de l’équipe. Selon Carine Carvalho, spécialiste des questions de genre et d’égalité au Bureau de l’égalité de l’Unil, « le plafond de verre existe réellement et on parle d’ailleurs de plus en plus de labyrinthe. Tout le parcours professionnel des femmes est plus compliqué que pour leurs homologues masculins. » Cela débute souvent par le dépôt de candidature et l’entretien d’embauche.
François Aumas, consultant en gestion de carrière connaît bien la question. « Sur un curriculum vitae être marié est bien vu. Par contre, si la femme indique qu’elle a des enfants, c’est beaucoup moins bien considéré. En définitive, l’employeur se demande toujours si un enfant ne va pas perturber le travail de l’employée. Quant à la grossesse, l’employeur craint de perdre une employée de qualité et aussi de devoir former à nouveau quelqu’un avec tous les inconvénients de temps et de coûts que cela implique. » Les working mums souffrent d’une double discrimination, celui du plafond de verre et celui du plafond de mère. Autrement dit, un ensemble de mécanismes managériaux et psychosociaux qui entravent leur carrière professionnelle.
🔊Françoise Piron explique que les stéréotypes ne sont pas étrangers à ces mécanismes et peuvent stopper totalement un élan de carrière

Carine Carvalho parle même de prophétie auto-réalisatrice, « Le comportement des femmes est influencé, elles vont s’adapter à ce qui est attendu. Plus un groupe est sujet à des stéréotypes plus il va se comporter en conformité avec ce dernier. » Encore faut-il que les femmes s’autorisent d’autres métiers et se sentent soutenues dans leurs ambitions de carrière, « Trop souvent les femmes vont s’orienter dans des filières d’études pour accéder à des emplois qui autorisent la conciliation. Il est urgent de réfléchir à la manière de soutenir leurs carrières. »

Françoise Piron milite aussi pour que les entreprises adoptent une vision d’avenir dans la mixité genre, « ce changement est vital pour notre économie. » Le modèle familial s’est certes modernisé, or dans près de trois quarts des couples avec enfants l’épouse réduit son activité ou la stoppe. Un choix en partie explicables par un différentiel salarial et des représentations sociales encore solidement ancrées. L’évolution n’est que partiellement satisfaisante car si les femmes gardent majoritairement leur emploi une fois mères, un taux d’activité réduit pénalise l’accès aux postes décisionnels. Au-delà de la carrière, c’est aussi leur sécurité matérielle qui est en jeu, car elles paient le prix fort lors d’un divorce, d’une invalidité et lors du calcul de la retraite.

Texte et photos: Myriam Bettens