Militantisme. Garantir aux enfants l’accès aux soins et à une planète en bonne santé, c’est la vocation qui anime la médecin Myriam Bickle Graz. Ses convictions l’ont amenée à rejoindre le mouvement Doctors4XR.
« En tant que pédiatre, mon travail est de soigner les générations futures ». Il est 18 heures. À la maternité du Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, les couloirs sont déserts. Murs blancs, plafond blanc, carrelage noir et blanc… une seule porte est ouverte. C’est celle du bureau de Myriam Bickle Graz: « D’habitude, c’est beaucoup plus animé! », s’étonne-t-elle, alors qu’elle fait signe d’entrer. Cheveux châtains ondulés, chemisier aux motifs fleuris…
À première vue, rien ne distingue cette cinquantenaire d’une autre « bobo », comme elle se définit elle-même – par « bobo », comprenez une personne dont les convictions politiques se situent à gauche mais dont le mode de vie aisé décrédibilise l’engagement. Rien… hormis un besoin viscéral de venir en aide aux enfants. Cette mission l’a conduite à choisir son métier mais aussi à lutter contre le réchauffement climatique.
« En tant que pédiatre, mon travail est de soigner les générations futures. »
La première fois que la pédiatre a entendu parler du mouvement Doctors4XR, c’était en Angleterre. Ce groupe d’activistes dont le nom pourrait se traduire en français par « Docteurs pour Extinction Rébellion », l’a inspirée: « J’étais presque un peu jalouse des soignants qui en faisaient partie! », confesse-t-elle. De retour en Suisse, c’est la médecin Valérie d’Acremont qui l’a convaincue de rejoindre la branche suisse du mouvement, il y a environ un an. Celle-ci compte une soixantaine de professionnels de la santé qui soutiennent la pensée et les actions d’Extinction Rébellion. Aussi appelé XR, le mouvement international prône la désobéissance civile non violente afin de contraindre les décideurs à prendre des mesures contre le réchauffement climatique.
Soigner la planète, c’est soigner les gens
Loin du tumulte des manifestations, Myriam Bickle Graz agite un flyer, au milieu de son minuscule bureau: « Le changement climatique est la plus grande menace pour la santé. En tant que professionnel.le.s de la santé, nous avons le devoir de nous engager pour porter assistance aux personnes en danger, avant qu’il ne soit trop tard. » Sur le bord de la fenêtre, quatre photos de ses enfants nous regardent depuis leurs cadres jaune, rouge, vert et bleu. « J’ai aussi ce badge mais je ne le mets pas ici car les gens ont peur en voyant le symbole XR. Je ne veux pas les effrayer… », confie la pédiatre, en sortant un petit objet rond et blanc de l’un de ses tiroirs. Sur ce badge, le logo d’Extinction Rébellion s’entremêle avec un serpent rouge vif, symbole d’Asclépios, dieu grec de la médecine.
En effet, parmi ses collègues, aucun ne comprend son choix de rejoindre le mouvement qui passe pour un groupe extrémiste et marginal: « On pense que ce sont des anarchistes aux cheveux verts! », dit-elle en riant, « Mais il n’y a pas que ça. » Ses amis en revanche, Myriam est persuadée d’avoir réussi à les faire changer: « Je les harcèle! », affirme-t-elle, toujours avec humour, « Même si parfois nous avons des petits débats, car nous ne sommes pas toujours d’accord… » Au travail, la médecin se fait plus discrète, notamment pour ne pas nuire à l’image du centre hospitalier qui l’emploie. Quant à ses collègues, elle leur trouve des excuses: « beaucoup d’entre eux ont des horaires à rallonge et notre métier occupe tout l’esprit, ce qui ne laisse pas beaucoup de place au militantisme… Et puis, devenir médecin, c’est déjà s’engager pour les autres. »
« En tant que professionnel.le.s de la santé, nous avons le devoir de nous engager pour porter assistance aux personnes en danger, avant qu’il ne soit trop tard. »
Ces obstacles n’ont pas freiné Myriam, pour qui rejoindre Doctors4XR était une évidence. À ses yeux, lutter contre le réchauffement climatique, c’est épargner à ses patients les maladies qu’il engendre et qui touchent déjà les pays pauvres… et les enfants qui y vivent, que la pédiatre a toujours eu à coeur de protéger. Elle s’en excuse presque: « J’ai envisagé de devenir juge pour enfants, afin de défendre les enfants dans la misère… Je sais, c’est nunuche… Je suis finalement devenue pédiatre. »
Informer pour mieux prévenir
Cette vision sociale de la médecine, Myriam la partage avec d’autres professionnels de la santé rencontrés lors d’événements organisés par Doctors4XR. Ensemble, ils ont mené une action au mois de juin, à Lausanne. Lors de cette manifestation, une cinquantaine de professionnels de santé vêtus de blouses blanches se sont réunis pour former le symbole d’Extinction Rébellion.
Parmi eux, quatre hommes vêtus de noir déambulent en portant un cercueil noir sur lequel on peut lire « votre futur ». L’un de ces hommes est d’ailleurs le mari de Myriam, professeur de sciences politiques. Des soignants brandissent un thermomètre géant, ils scandent: « La Terre frissonne, elle a 39 degrés de fièvre! » Le but de cette intervention théâtrale: informer le public et inciter les décideurs et les industries à prendre des mesures afin de mettre fin au réchauffement climatique.
Aujourd’hui, la Covid-19 a forcé Myriam Bickle Graz à mettre temporairement son militantisme entre parenthèses: aucune action n’est prévue pour l’instant. La médecin avoue se concentrer exclusivement sur la pandémie et ne pas avoir l’énergie pour penser à autre chose. D’après elle, la situation ne va faire qu’empirer. Elle rappelle cependant que si le virus est mortel, il fait moins de victimes que le réchauffement climatique qui, d’après ses chiffres, tue 3’000 personnes par an en Suisse.
« Je suis une indécrottable optimiste! Je pense qu’il est encore possible de changer les choses, sinon cela ne servirait à rien de se battre. »
Si Myriam Bickle Graz a rejoint le mouvement il y a un an, cela fait dix ans qu’elle a réalisé que le réchauffement climatique constitue une menace. Avant, elle ne s’était jamais engagée pour une cause. C’est avec une pointe d’amertume et beaucoup d’auto-dérision qu’elle répète n’être « qu’une bobo comme les autres, qui a la chance d’avoir un jardin en plein centre de Lausanne », et avoue que si elle mange bio, presque végétarien, et favorise les objets réutilisables, elle ne sacrifie pas ses vacances si celles-ci nécessitent de prendre l’avion.
Consciente que « l’écologie est un problème de riche », elle est convaincue que c’est à elle de lutter à la place des plus pauvres, qui n’en ont pas les moyens. Malgré ses failles qu’elle reconnaît volontiers, Myriam estime faire son maximum, à son échelle. Elle est intimement convaincue qu’il est possible de revenir en arrière: « Je suis une indécrottable optimiste! Je pense qu’il est encore possible de changer les choses, sinon cela ne servirait à rien de se battre. »
Le monde de demain
Cet espoir pour le monde de demain, la mère de famille le partage avec ses trois enfants, âgés de 18 à 25 ans: « Mes enfants me stimulent beaucoup, me font réfléchir, me remettent en question constamment, et je leur dois beaucoup. » C’est ainsi que le petit dernier s’est vu conduire au tribunal par sa maman, après avoir mené une action avec Extinction Rébellion.
Heureusement, celui-ci peut compter sur la fierté et l’engagement de sa mère pour le soutenir et l’aider à construire un avenir meilleur: « Sans voitures en ville, sans énergies fossiles, où les lobbies de l’industrie auront perdu leur influence et… où Trump sera mort! »
Biographie
1964 Naissance à Genève d’un père anglais et d’une mère allemande
1995 Naissance de son premier enfant
2001 Obtient son diplôme de pédiatrie à Lausanne
2003 Après deux ans en Angleterre, Myriam revient en Suisse où elle recommence à travailler au CHUV
2010 Obtient son diplôme de pédiatre du développement à Lausanne
2019 Myriam rejoint le mouvement Doctors4XR
Propos recueillis par Meili Gernet – Septembre 2020
>> Retrouvez le reportage de Dominique Choffat sur les médecins membres d’Extinction Rébellion pour la RTS