LONGREAD – On ira tous au paradis, même chiens et chats

0
313

Il est de moins en moins tabou d’assumer la souffrance provoquée par la disparition de son animal de compagnie. Aujourd’hui, chiens, chats et canaris sont de plus en plus souvent considérés comme membres à part entière de la famille et bénéficient d’égards jadis réservés aux humains.  Faut-il y voir les signes d’une évolution plus globale de notre rapport à l’animal ? Témoignages et décryptage.
« Tu me manques mon copain. Tu nous manques à tous. (…) Les enfants sont tristes tout le monde t’aimait. T’étais et tu resteras mon bébé ». Ces mots sont des mots de deuil. C’est Annouchka qui les a écrits sur sa page Facebook. Quelques mots pour exprimer une douleur, celle suscitée par la mort de son chien.
Annouchka a grandi au Bouveret, en Valais. Elle a 25 ans. Il y a une année, son fidèle compagnon a dû être euthanasié par le vétérinaire. Un épisode douloureux et un choc pour la jeune femme. Aujourd’hui encore, sa voix se noue quand elle évoque la disparition de Ptit’Lou.

Annouchka aurait aimé pouvoir soigner Ptit’Lou, mais les soins proposés étaient trop onéreux. Et les chances de survie très faibles. Certains n’hésitent cependant plus à franchir le pas. Les progrès de la médecine vétérinaire permettent de guérir toujours plus de maladies touchant les animaux.

Elvis avait 12 ans quand une insuffisance rénale lui a été diagnostiquée. Lorsque le choix s’est présenté, Caroline n’a pas hésité à le mettre sous dialyse. Le traitement était cher, mais pour cette Lausannoise ce n’était pas une option : « j’aurais pu m’endetter pour mon chat s’il l’avait fallu. Ça me paraîssait inconcevable de ne pas essayer un traitement si c’était possible ».
Il n’est plus rare que des traitements lourds, auparavant réservés aux être humains, soient prodigués à des animaux. À l’heure actuelle en Suisse romande, la seule option reste le Tierspital de Berne. Une structure qui traite plus de 6000 chiens et chats par année. Mais administrer une chimio à son compagnon à poils, cela a un prix qui peut se chiffrer à plusieurs milliers de francs. Un centre similaire à l’hôpital bernois est en projet dans la région lausannoise. Pour les praticiens contactés, il existe un réel besoin en Suisse romande. Les trajets peuvent en effet s’avérer très lourds pour les propriétaires d’animaux de compagnie vivant du côté francophone de la Sarine.
Le prix élevé des traitements a longtemps été un frein pour de nombreuses personnes. Mais face à la demande, il restait un créneau à exploiter. C’est chose faite: il est aujourd’hui possible de souscrire une assurance pour son animal. La plupart des compagnies proposent d’ailleurs une offre dans ce sens. Caroline a lu des prospectus, mais elle n’a pas franchi le pas de l’assurance pour chats : « c’est plutôt cher et je ne savais pas vraiment ce qui serait pris en charge ».
Comme pour les êtres humains, les options sont multiples et les exceptions nombreuses. Par exemple, certaines compagnies refusent de prendre en charge un chien ou chat qui aurait plus de 7 ans. Pour un chien de 6 ans, la prime annuelle va s’échelonner entre 120.- et 700 francs suivant la franchise, l’étendue de la couverture et les montants maximums remboursés. Si la tendance se poursuit, le marché devrait progresser dans les prochaines années.

Quand les soins ne suffisent pas, le vétérinaire offre alors un ultime choix pour la dépouille : la faire disparaître avec les autres déchets carnés ou alors procéder à une incinération dans un centre spécialisé. L’équarrissage, cette pratique où l’animal sera transformé en farines et graisses dans un circuit industriel, rebute de plus en plus de propriétaires. Ils veulent une fin plus digne pour leur compagnon. Face à la demande, un crématoire animalier à d’ailleurs vu le jour en 2010 à Lausanne.
Nous nous sommes rendus à Vidy pour visiter cette petite structure qui fonctionne à plein régime. Après avoir contrôlé le poids de l’animal, Elek – employé du crématoire – met avec lui une médaille qui le suivra pendant la crémation et permettra d’assurer au propriétaire que c’est bien les cendres de son animal qu’il recevra.
La crémation en tant que telle prendra entre 30 minutes et 2h30 suivant la taille et le poids de l’animal. Après le processus, il reste quelques os qui seront broyés. C’est donc cette poussière d’os qui constitue les cendres scellées dans l’urne.
Comment se passe une crémation avec récupération des cendres ?
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=OyNZr3b9nzU?rel=0&showinfo=0&ecver=1]

Le premier crématoire animalier de Suisse a été inauguré en 1993 à Seon, en Argovie. Aujourd’hui il en existe huit sur sol helvétique, dont deux en Suisse romande. Pour faire face à la demande, un troisième crématorium est en projet et devrait voir le jour d’ici la fin de l’année sur sol vaudois. Depuis 2013, le Tierkrematorium de Kirchberg (BE) est même équipé pour incinérer les chevaux. C’est un des seuls centres d’Europe à proposer ce service.
Changement de décors: nous voilà sur une petite route bordée d’herbes hautes quelque part dans une zone résidentielle du Chablais valaisan. Samantha à l’oeil rieur et le nez rougi par le vent hivernal qui souffle en ce début de soirée de janvier. Elle nous emmène en promenade sur les lieux qu’elle aimait parcourir avec Loulou. Elle nous parle de sa décision d’incinérer sa chienne après sa mort il y a de cela un an. Jamais elle n’aurait pu tolérer de l’envoyer à l’équarrissage, elle l’aurait vécu comme un manque de respect envers celle qui a partagé sa vie pendant plus de 13 ans.

Témoignage de Samantha:

Pour ceux qui le souhaitent, il est tout à fait légal d’enterrer son animal de compagnie sur son terrain privé pour autant qu’il pèse moins de 10 kilos. L’incinération, elle, n’est pas gratuite. Le prix dépend de la taille et du type des animaux : comptez entre 32.- et 270.- pour une incinération sans récupération des cendres. Pour conserver les restes du compagnon, la facture monte : comptez 65.- pour les petits animaux de compagnie, comme des oiseaux ou des rongeurs, et 530.- pour un chien de plus de 80 kg. À ce prix il faudra rajouter celui de l’urne (du simple sachet aux pièces sculptées en matériaux précieux).

Comme l’observe l‘historien des animaux Eric Baratay, on peut voir avec le traitement funéraire des animaux de compagnie une sorte d’imitation des pratiques qui encadrent le décès et le deuil d’un être humain.

L’animal de compagnie est aujourd’hui considéré comme un membre de la famille, ce qui explique un décalque des rites.

Eric Baratay est un spécialiste de la relation entre l’homme et l’animal. Il nous a accordé un entretien pour nous expliquer ce qui a changé dans la place qu’occupent les animaux dans les foyers. C’est notamment à partir des années 1950 qu’une évolution plus massive est observée.

Eric Baratay, historien des animaux:

Cette sorte « d’humanisation des pratiques » a conduit à l’arrivée de services comme des pompes funèbres pour animaux. Funeradog est née à Pampigny en 2011. Micaela Gsponer a été pionnière en Suisse en lançant son entreprise.  Elle a ressenti le besoin de créer cette activité suite au désarroi éprouvé face à la mort de son Labrador.  Son activité est en hausse: « Je fais entre 50 et 60’000 km par année. Je crois que ce que je fais n’est pas inutile. Tous ces kilomètres ils le méritent bien ». N’allez cependant pas imaginer le cérémonial qui entoure les obsèques humaines. Micaela met toujours l’humain au centre de son travail. Ce sont des gens avec des histoires de vie qu’elle va rencontrer. Elle leur apporte une écoute et leur permet de s’exprimer sur le deuil de leur animal.
Comment devient-on « pompe funèbre animalière » ? « J’ai demandé les autorisations au vétérinaire cantonal et j’ai maintenant une voiture spéciale pour le transport de cadavres avec un bac étanche que je dois désinfecter », nous explique Micaela. Son travail consiste notamment à prélever les dépouilles chez les vétérinaires pour les apporter au crématoire animalier. Elle propose aussi de ramener les cendres à domicile afin de les remettre en mains propres: « Les personnes aiment ce contact plus personnalisé autour de la mort de leur animal, ça les aide dans leur deuil ».

Pour Alain Zwygart, administrateur de la Société vaudoise pour la protection des animaux (SVPA) qui gère le crématoire animalier de Lausanne, l’affection portée à l’animal de compagnie n’est pas nouvelle, c’est surtout son expression qui est davantage acceptée socialement. « Aujourd’hui on affiche pleinement notre désarroi, notre peine. De ce fait-là, on veut récupérer les cendres et cultiver le souvenir », précise-t-il, avant d’ajouter qu’économiquement « notre société a plus de moyens pour une telle considération des animaux. Avant ça n’était pas à la portée de tout le monde ».
Le nombre d’animaux incinérés à Lausanne chaque année ? Alain Zwygart n’a pas souhaité nous communiquer de chiffre précis, le marché étant selon lui « très concurrentiel ». Signe de l’engouement toujours plus fort pour cette pratique.
Des cimetières animaliers où enterrer la dépouille de son animal, il en existe Outre-Sarine. En Suisse romande, la SVPA a réalisé à Sainte-Catherine sur les hauts de Lausanne un jardin du souvenir. On peut y louer une concession dès 150.- par année pour y déposer les cendres de l’animal adoré.
Le Jardin du souvenir de Sainte-Catherine à Lausanne:
[youtube https://www.youtube.com/watch?v=IhX74pqvvEA?rel=0&showinfo=0]

Quand l’animal vient à manquer, plusieurs propriétaires confessent avoir été surpris par le chagrin qui les a frappés.  Incinérations et autres rites sont finalement là pour aider les gens à surmonter leur perte, à faire leur deuil. Nous retrouvons Samantha qui nous parle de son chagrin les mois qui ont suivi la disparition de Loulou.

Samantha nous raconte son deuil:

L’association Vivre son Deuil Suisse a mis en place une ligne d’écoute dédiée au deuil résultant de la perte d’un animal de compagnie. Elle a aussi organisé des cercles de parole autour de cette thématique.  Martine Golay Ramel, thérapeute du deuil et membre de l’association, nous explique que le deuil est avant tout la rupture d’un lien. La force de ce lien explique la souffrance éprouvée après la disparition.

Martine Golay Ramel, thérapeute du deuil:
[soundcloud url= »https://api.soundcloud.com/tracks/427656591?secret_token=s-U7ILa » params= »color=#ff5500&auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&show_teaser=true » width= »100% » height= »166″ iframe= »true » /]

Parfois un deuil peut en cacher un autre. Pour Martine Golay Ramel, il n’est pas rare que le deuil d’un animal réveille un autre deuil plus ancien qui n’avait pas pu être terminé. Elle raconte par exemple l’histoire d’un couple de personnes âgées où l’époux se retrouve veuf, seul avec le chien qu’ils ont eu ensemble pendant 15 ans. Avec le temps, il surmonte le deuil de sa femme. Mais lorsque son chien décède une année plus tard, il vit à nouveau un deuil très compliqué. Il a même l’impression que son chagrin est plus fort encore que celui éprouvé lorsque sa femme est partie. Il ne comprend pas et culpabilise. Pour Martine Golay Ramel, c’est le cas typique où l’animal constituait un lien avec l’autre personne, dans ce cas le conjoint. Souvent c’était l’animal du couple, que les deux avaient choisi et chéri. Au moment de la mort du chien, c’est ainsi le deuil de l’épouse qui se réveille et se termine.
Le deuil animal est de mieux en mieux assumé aujourd’hui, même s’il peut toujours sembler difficile à porter en public. La vétérinaire Marina von Allmen-Balmelli avait rédigé un petit prospectus mis à disposition dans son cabinet à Bevaix. Les copies ne faisaient pas long feu sur le présentoir : « Les gens ne s’intéressaient pas aux différents dépliants présents qui parlaient de maladies, de puces de tiques, etc. Mais celui -là sur le deuil disparaissait tous les jours. J’ai compris qu’il y avait un réel besoin. » Marina a donc choisi de rédiger « Quand l’animal s’en va », un livre qui met des mots sur cette souffrance et aide à la surmonter.
Marina von Allmen-Balmelli, vétérinaire à Neuchâtel:
[soundcloud url= »https://api.soundcloud.com/tracks/427655445?secret_token=s-oh8d2″ params= »color=#ff5500&auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&show_teaser=true » width= »100% » height= »166″ iframe= »true » /] « Qu’on le veuille où non, lorsqu’on partage sa vie avec un animal, il se crée un attachement, des liens, une relation. Lorsque la relation est forte, la séparation sera vécue comme une rupture, une déchirure. Il y aura une douleur, de la tristesse, parfois du désespoir », explique encore Marina.
Eric Baratay nous apporte un recul historique sur ce changement des mentalités. Pour l’historien, c’est notamment le fait que la société soit davantage laïque qui a permis à ce sentiment de deuil de s’exprimer. Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur qu’a pris le phénomène dans nos sociétés occidentales.
Eric Baratay, historien des animaux:

Vers une révolution ?

Il n’en demeure pas moins que ces relations privilégiées restent réservées à certains types d’animaux. Le bœuf qui finit dans l’assiette ne semble pas prêt de recevoir pareilles attentions. Et pourtant, selon Eric Baratay la différence est en train de s’estomper : les images choquantes sur les abattoirs n’auraient pas fait scandale il y a 30 ou 40 ans. « Il y a eu à partir du XVIIe un processus de chosification de l’animal qui a mené aux élevages industriels. Parallèlement, vous avez au XVIIIe une entreprise de réévaluation des animaux qui commence par les animaux de compagnie », développe l’historien.

Tous les animaux n’ont pas profité de manière égale de cette évolution

Pour Eric Baratay, même si les mentalités évoluent de manière générale sur notre relation au vivant, tous les animaux ne bénéficient pas encore de ces changements. Certes, l’opinion publique s’émeut beaucoup plus de certains mauvais traitements, mais l’élevage industriel par exemple reste en parallèle une réalité qui n’est pas réellement remise en question. Néanmoins, Eric Baratay note que des transformations plus profondes pourraient intervenir si la tendance se poursuit.
Eric Baratay, historien des animaux:

Le film sur les abattoirs de la Villette que mentionne Eric Baratay (Le Sang des Bêtes, Georges Franju, 1949) est visible ici. Il ne se passe d’ailleurs presque pas une semaine sans qu’une nouvelle affaire regardant la condition animale ne défraye la chronique. En Suisse, des abattoirs ont été fermés. Les livres de recettes végétariennes ont la cote et le Conseil fédéral a édicté en début d’année une ordonnance interdisant d’ébouillanter les homards sans les avoir préalablement assommés. Du contenu de notre assiette aux revendications politiques concernant le bien-être animal, une sensibilité nouvelle semble être en train de se démocratiser.
Une prise de conscience qui semble la plus flagrante dans les relations entretenues avec Milou et Félix. L’Homme est peut-être en train de questionner son propre rôle et statut au sein de la nature et du monde. Et s’il était juste en train de redécouvrir qu’il n’était finalement qu’un mammifère parmi les autres ?

Photos: Keystone

Andrea GRINGERI