INTERVIEW – « Cette redevance, c’est une fausse bonne nouvelle »

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Valérie Muster se bat pour aider le consommateur, qu’elle estime « pris en otage ». – Image: Pierre Pillet

Depuis le 1er janvier, la société Serafe a repris le flambeau de Billag pour la perception de la redevance radio-TV. La taxe s’élève désormais à 365-CHF par an suite à la révision de la LRTV (Loi fédérale sur la radio et la télévision), soit une baisse de 19% par rapport aux quatre dernières années.

Malgré cette diminution, la transition ne se déroule pas sans heurts, au vu des nombreux témoignages parvenus à la Fédération Romande des Consommateurs (FRC). Valérie Muster, responsable FRC Conseil, veut donner, comme l’exprime le slogan de l’association, le « pouvoir d’agir » au consommateur.

Pourquoi le consommateur est-il encore mécontent ?
Valérie Muster: Le montant baisse, mais il y a beaucoup plus d’exceptions et de passe-droits pour les entreprises que pour les consommateurs. Si l’entreprise ne dépasse pas un chiffre d’affaire de 500’000-CHF alors la société ne paye rien. Le seuil d’exonération est assez élevé. Pourquoi une entreprise qui a « x » capital passe entre les gouttes ? Les exonérations des ménages, si vous regardez, il faut être aveugle et sourd pour que le consommateur ne paye pas la taxe. On rigole presque en lisant ça. S’il y avait moins d’exonérations pour les entreprises, le consommateur aurait payé moins. Ce n’est pas équilibré correctement.

En quoi cela concerne le consommateur, étant donné que lui aussi a vu sa taxe diminuer ?
En réalité, le problème ne repose pas principalement sur le consommateur qui payait déjà la redevance, mais sur celui qui ne la payait pas. Il y a encore beaucoup de personnes qui refusent de regarder la télé. On parle de 5% (ndlr: des consommateurs). Jusqu’à présent, ils n’étaient pas soumis à la redevance TV, grâce à la négociation que nous avions eue avec l’OFCOM, l’office fédéral de la communication, mais seulement à celle de la radio. Maintenant, ces « filous » nous ont mis TV et radio sur la même taxe. Et autant vous dire que tout le monde a une radio. Pour ne pas avoir de radio, il faut vraiment habiter dans une caverne. Plus personne ne bénéficie de cette exception que l’on a eue.

Cette taxe comprend également les contenus digitaux. Cela paraît normal de payer ce contenu, qu’on le regarde à la télévision ou sur notre smartphone, non ?
La redevance TV, ce n’est pas les vidéos YouTube. Je suis d’accord que technologiquement parlant, cela devient invérifiable de savoir si l’on regarde les sujets TV sur les réseaux sociaux ou non. Mais il y a encore des puristes et ce sont eux qu’on défend. Il devrait encore y avoir cette différence TV et radio.

Ces puristes comme vous les appelez, ils n’ont peut-être pas de télévision et de radio, mais ils possèdent généralement un smartphone ou une connexion Internet.
Oui. Le système d’arroser tout le monde, je ne le remets pas en question. Mais les exceptions auraient pu être plus nombreuses.

« Si on devait faire le classement des sociétés dénoncées en janvier, je pense qu’ils (ndlr : Serafe) sont déjà dans le trio. »

Depuis début janvier, vous ne travaillez pratiquement que sur ce dossier. Cela est pesant ?
C’est notre travail de régler les problèmes. On peut rassurer mais quand le 70% de nos réponses sont basées sur cette entreprise cela est embêtant. Les gens vont nous appeler pour se rassurer alors que tout joue. Il y a encore ce besoin de critiquer Billag ou Serafe. Si on devait faire le classement des sociétés dénoncées en janvier, je pense qu’ils (ndlr : Serafe) sont déjà dans le trio.

Vous êtes devenu le porte-parole de Serafe en quelque sorte.
Les gens ont fait des amalgames. On a remarqué qu’ils mélangeaient tout. On doit faire beaucoup de Service Après-Vente pour l’OFCOM ou Serafe pour expliquer aux gens quoi, comment, pourquoi. Pourtant cela est bien expliqué. Cela nous embête d’être le SAV de Serafe.

« Pour moi c’est une fausse bonne nouvelle, parce que ce qu’on enlève d’une part on va devoir le payer autre part pour avoir des programmes complets. »

Est-ce que les consommateurs peuvent se sentir biaisé par cette loi (ndlr : Initiative No billag le 4 mars 2018) qu’ils ont acceptée en votation populaire et qui comprenait ce changement de fonctionnement ?
C’est la difficulté des lois aujourd’hui. Il faut les comprendre. Parfois on vote et on (ne) les comprend pas. On votait principalement pour ou contre la suppression de la redevance. Les gens n’ont pas cherché plus loin. Je ne pense pas qu’ils aient été biaisés, sauf ceux qui ne payaient rien et qui doivent payer désormais. Les autres, ils ont eu une diminution. Cette diminution va continuer parce que c’est le but de revoir à la baisse. Ils peuvent se sentir biaisé par rapport aux entreprises. Cette réforme est plus favorable aux entreprises qu’aux consommateurs.

Cette baisse de la redevance aura-t-elle un impact sur la qualité de nos programmes réalisés par le service public ?
Non, hormis dans le sport. Le consommateur est pris en otage dans une surenchère des droits TV mais ce n’est pas la faute du service public. On ne peut pas demander au service public de mettre des sommes astronomiques. Il y a toute cette pesée d’intérêt.

Est-ce que cette « non-surenchère » des droits TV en sport aura un impact sur le porte-monnaie du consommateur ?
Oui. Au final, le consommateur, ces prochaines années, va payer énormément plus même si la redevance diminue. Il va payer plus du fait des retraits de programmes sport ou autres et devra aller acheter un abonnement sur les chaînes privées. La Suisse arrive dans un système à l’européenne. On était privilégié d’avoir une télévision publique forte qui montrait tout. Pour moi c’est une fausse bonne nouvelle, parce que ce qu’on enlève d’une part on va devoir le payer autre part pour avoir des programmes complets.

CFJM – Pierre PILLET