Hasard du calendrier ou erreur de calcul? Le Parti libéral-radical a durci ses positions sur l’immigration à l’approche des élections. Vent debout contre l’assouplissement du droit d’asile des Afghanes, le conseiller aux Etats Philippe Bauer se défend de toute stratégie

Interview. L’heure est à la remise en question pour les libéraux-radicaux, en perte de vitesse aux dernières élections. Multipliant les alliances avec l’UDC, le parti a également déposé plusieurs objets en lien avec le thème phare de la première force politique du pays. Un rapprochement qui n’a rien d’idéologique selon Philippe Bauer, non réélu à la Chambre des cantons. Pour le Neuchâtelois, la migration est l’affaire de tous.

Vous avez déposé le 28 septembre une motion contre l’assouplissement du droit d’asile des femmes afghanes opéré par le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) en juillet. Le même jour, l’ex-présidente de votre parti soumettait un postulat sur la libre circulation des personnes en Suisse. L’immigration, nouveau cheval de bataille du PLR?

Ce n’est pas nouveau, ça fait des années que le parti dit: «On doit appliquer la loi». On a sorti un papier «Ferme mais juste» qui va dans ce sens et rappelle que face à la migration chaque situation est différente. Ce n’est pas possible de tout mettre dans un grand pot comme le fait l’UDC en affirmant: «ils sont tous mauvais», ou à l’inverse le PS en disant: «ils doivent tous venir».

Un discours plutôt racoleur en période électorale…

Je ne crois pas que ça faisait partie de la stratégie du parti, peut-être qu’il y a une sensibilisation plus forte avec ce qui se passe à Boudry par exemple, mais il n’y a pas véritablement de changement de paradigme.

« On aurait pu attendre du Conseil fédéral qu’il aborde la question, surtout que ce n’est pas un sujet complètement anodin »

Selon l’ancien conseiller national Claude Ruey, le PLR a donné des arguments à l’UDC en durcissant ses positions sur l’asile. Que répondez-vous?

J’ai la chance de faire partie d’un parti qui n’est pas monomaniaque et accepte que ses membres aient une vision différente de la majorité. Et quand je dis qu’on n’est pas monomaniaque, on ne l’est pas non plus dans le choix de nos thèmes. Aujourd’hui l’asile est un sujet qui interpelle et il est normal qu’un parti gouvernemental ait un avis sur la question. Et si on avait dit: «On ouvre grand les portes», on nous aurait demandé: «Vous n’avez pas l’impression de faire le jeu du PS?»

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La Confédération accorde désormais plus facilement l’asile aux femmes afghanes en raison des discriminations dont elles souffrent dans leur pays. Qu’est-ce qui vous chiffonne là-dedans?

Ce que j’ai de la peine à accepter c’est quand, avec conscience et volonté, on ne respecte plus la loi. Pour la femme afghane qui arrive via les routes migratoires, on se retrouve dans la même configuration que le ressortissant africain qui débarque en Italie. Pourquoi la traiter différemment? Quant à celles qui arrivent directement en Suisse, on met en place la procédure standard avec un examen au cas par cas.

Ces dossiers font toujours l’objet d’un examen individuel…

Oui enfin, elles obtiennent le statut de réfugiées tout de suite. Ou à peu près tout de suite.

Vous dénoncez un changement adopté dans «le plus grand secret». Or le SEM n’est pas tenu de communiquer à propos de ce type d’adaptations.

Je vous renvoie la balle à vous les journalistes qui êtes les chantres de la transparence: si je ne vous dis pas ce que je gagne avec la convention patronale, vous allez m’expliquer que je devrais le dire, même s’il n’y a aucune obligation légale de le faire. On aurait pu attendre du SEM ou du Conseil fédéral qu’il aborde la question, surtout que ce n’est pas un sujet complètement anodin.

Vous alertez sur «l’effet d’attraction», or la Suisse suit les recommandations de l’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA), adoptées par une douzaine de pays européens. On peut écarter ce risque, non?

Peut-être, je ne peux pas l’exclure. Comme je ne peux pas exclure que ces dames préfèrent rester ici, au vu du niveau de vie élevé, plutôt qu’en Italie ou en Espagne…

Nous parlons de femmes privées d’éducation et de liberté quand elles ne sont pas menacées de mort, vous pensez qu’elles s’octroient le luxe de choisir leur destination?

Je ne dis pas qu’on ne doit pas leur accorder le statut de réfugiée, je dis que ce statut doit faire l’objet d’une procédure. Le fait que la Suisse puisse offrir à ces personnes une sécurité, c’est une chose dont je suis très fier.

« Parce que ce sont des femmes afghanes, elles doivent être mieux traitées que des hommes qui viennent d’ailleurs? »

Votre texte le souligne: «la Suisse est prête à accorder la protection à ceux qui en ont besoin, mais pas à ceux qui l’ont déjà obtenue». En l’absence de représentation diplomatique en Afghanistan, ces femmes passent inévitablement par des états tiers. Une façon déguisée de systématiser les refus?

Tout ce que nous disons c’est que nous avons la chance de ne pas avoir de frontières avec l’extra-Europe et ces gens doivent faire leur demande d’asile dans le premier pays qu’ils traversent.

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Le PLR insiste sur la situation très tendue de l’asile pour un changement qui concerne 3071 femmes admises à titre provisoire en Suisse. Pour rappel, votre parti a salué l’an dernier l’activation du statut S permettant d’absorber 70’000 réfugiés ukrainiens…

On peut prendre 3000 Afghanes comme 3000 Africains qui meurent de faim, parce que ce sont des femmes afghanes, elles doivent être mieux traitées que des hommes qui viennent d’ailleurs? On touche presque à la question de la désobéissance civique, si un citoyen ne paie pas ses impôts sur 8 millions, ce n’est pas grave après tout ? Je suis un vieux légaliste que voulez-vous…

Comme l’indique votre motion : « la Suisse est prête à accorder la protection à ceux qui en ont besoin, mais pas à ceux qui l’ont déjà obtenue.» En l’absence de représentation diplomatique en Afghanistan, ces femmes passent inévitablement par des états tiers comme le Pakistan ou la Turquie. Une façon déguisée de systématiser les refus ?

Nous n’avons pas d’accords Schengen/Dublin avec le Pakistan, mais c’est il est vrai que nous avons la chance de ne pas avoir de frontières avec l’extra-Europe et ces gens doivent faire leur demande d’asile dans le premier pays qu’ils traversent. Mais encore une fois, je suis persuadé que vivre en Afghanistan actuellement, ça doit être terrible pour les femmes, mais peut-être aussi pour certaines catégories d’hommes. Franchement, j’aime mieux vivre ici qu’à Kaboul…

Propos recueillis par Angélique Eggenschwiler

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